Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Pièce de théâtre synthétique en un acte
unique. La scène se passe dans un merveilleux jardin d’hiver autour d’un
kiosque restauré, moderne, aménagé avec goût, au sommet du Mont Parnasse.
Nous sommes en la nuit de Noël de l’année 1936. Des boys ondins et des girls
ondines, en livrée élégante, servent des rafraîchissements, du nectar et de
l’ambroisie.
PERSONNAGES :
Adam |
Tartuffe |
Tsao Se |
Lucifer |
Ophélie |
Butterfly |
Auteur dramatique secret |
Lully |
Une geisha |
Le diable |
Un
rôle de O’Neill |
Lohengrin |
Hamlet |
Œdipe
|
Le ban Bánk |
Esprit |
Liliom |
Gertrudis[1] |
Bunbury[2] |
Dorian
Gray |
Tiborc |
Oreste |
L’homme
en or[3] |
Le
voiturier Henschel[4] |
Chœur |
Bunbury |
Paul
Pry[5] |
Contre-chœur |
Le
roi Lear |
John
Tanner[6] |
Prince Bob[7] |
Anna
Karénine |
Jason |
Nora |
La
Du Barry |
Médée |
Le mari de Nora |
Lysistrata |
La
maman Gyurkovics[8] |
Olson |
Pista
le méchant[9] |
Salomé |
Marguerite |
Rózsi Finum[10] |
Carmen |
Erna |
Cordélia |
Mimi |
Shylock |
Richard III |
Mary |
Nathan le Sage |
Macbeth |
Marie
Stuart |
Cyrano |
Brutus |
Jeanne
d’Arc |
Anne Boleyn |
Jules
César |
Raskolnikov |
Élisabeth d’Angleterre |
Joseph II |
Madame
Warren |
Piri |
La
veuve joyeuse |
Madame
Sans-Gêne |
Un rôle de Fodor[11] |
Danilo |
L’aspirant
muet[12] |
Un rôle Bús-Fekete |
Peer
Gynt |
Jean
le Preux[13] |
Azra |
Le
notaire de Peleske[14] |
La
mégère apprivoisée |
La Dame au camélia |
Juliette |
Petrucchio |
La
Dame de chez Maxim’s |
Roméo |
Svengali[15] |
Lieutenant
Irja[16] |
Philippe
Derblay |
Le
joueur de flûte de Hamelin |
Léa
Lyon[17] |
Bottom |
Puck |
Jedermann[18] |
Tokeramo[19] |
|
ADAM
(de la Tragédie de l’Homme) : Chers
amis, vous tous, ici présents !
TOUS : Écoutons,
écoutons !
ADAM : Il
ne serait, je pense, pas convenable de dire à chacun séparément ce qu’était l’intention
dans laquelle j’avais hâte de vous réunir, mes glorieux amis, car je crie
maintenant une alarme dans le monde de l’imagination, aux oreilles du rêve, le
rêve est plus claironnant que la parole de veille.
LUCIFER (en aparté) : Dis plutôt SOS,
c’est le mot qui s’impose.
ADAM : Génius qui nous a créés, et qui créée dans les siècles des
siècles…
LUCIFER (en aparté) : S’Il ne se fait
pas avaler par l’écran vivant, par le bruit fracassant de la caméra.
(La machine tourne, et le créateur cherche.)
ADAM : …
celui qui en nous tous a insufflé une âme, le Grand Rêveur, père des cent
Rôles.
LUCIFER (applaudit ironiquement) : L’auteur !
L’auteur !
L’AUTEUR
DRAMATIQUE SECRET (grand fracas, il
surgit d’une trappe).
LUCIFER (prend peur) : Qui es-tu,
espion, ce n’est pas toi que j’ai invoqué. J’avais appelé Shakespeare et
Madách.
L’AUTEUR
DRAMATIQUE SECRET : Ceux que dans le chœur tu croyais si affaiblis,
autour de vous prennent une force infinie, et chacun d’eux a débuté ainsi que
moi. Ou, n’est-ce pas de moi qu’ils ont volé le thème ? Et ne sont-ce pas
eux qui s’inclinent ici, saluent aux feux de la rampe, ivres de leur
succès ? Ils usurpent ma place ! Mais un jour prendra fin ce honteux
carnaval, et je porterai plainte, oui plainte pour plagiat. (Il disparaît.)
ADAM : Vous
tous, si vous savez, et si vous entendez, ou ici n’errerait qu’un timide
soupçon, c’est de moi que vous suçâtes sang et cervelle, moi qui étais Kepler,
Danton et Sergiolus,
et aussi l’archaïque Rôle refondateur, et avant même leur arrivée en ce monde,
le modèle caché de tous les Personnages.
LUCIFER (en aparté) : Ce modèle se
renouvellera bien encore cent mille fois.
LE DIABLE : Bon,
écoutez fiston, laissez tomber l’intrigue. Je ne voulais pas vous interrompre,
mais le vieux a raison, le fait est que notre mère Ève n’a vraiment fait que
mettre au monde l’humanité, mais Monsieur Adam Premier a créé une
branche industrielle plus importante, ou tout au moins plus lucrative – c’est
de là que proviennent les héros dramatiques.
LUCIFER (ironiquement) : Toi, par
exemple, tu proviens de là.
LE DIABLE : Quoi ?
Moi ? Pas question ! Lui, il n’écrirait pas des mots comme
« renouveau » et « provenir », car il connaît le langage
scénique. Moi je descends peut-être du singe, mais mon fils, sûrement pas.
LUCIFER (à Adam, plaintivement) : Conduis-moi
à une autre époque, Adam, il ne me laisse pas vivre.
ADAM (sourit) : Cette fois j’ai
encore à faire en ce temps-ci, ici. Mon fils Hamlet, dis-nous l’ordre du jour.
(Il s’assoit.)
HAMLET (se lève, se racle la gorge) : Honorable
assemblée générale ! C’est à moi qu’échoit l’honneur d’esquisser la
situation de crise. Je pourrais tout à fait me invoquer
certaines affaires importantes…
L’ESPRIT (apparaît) : Penses-y, Hamlet.
(Il disparaît.)
HAMLET (sort son épée du fourreau) : Ah,
Claudius, infâme Polonius !
TOUS (mécontents) : Au fait !
Au fait !
BUNBURY (trépigne) : Dans les questions
d’ordre social je vous recommanderais, ladies and gentlemen, de ne pas nous
importuner les uns les autres de nos affaires privées, qui stricto sensu
devraient être traitées dans les lieux d’aisances. Je prierais aussi
l’honorable Monsieur Hamlet ancêtre de bien vouloir s’adresser à son cher
fils à propos de ses plaintes familiales seulement après l’assemblée générale.
L’ESPRIT (apparaît) : Mais voyons, il
devra le venger…
BUNBURY (fraîchement) : De toute façon,
un gentleman n’apparaît pas en chemise de nuit à une soirée.
L’ESPRIT (se toise) : Tiens…J’ai négligé
cet aspect… (Il disparaît.)
HAMLET (poursuit) : Oui, justement,
c’est bien de cela qu’il s’agit ! Sans vouloir attirer l’attention sur ma
modeste personne, l’affaire a commencé par Reinhardt qui au début du siècle a
eu l’idée de me costumer en frac et chapeau claque.
ORESTE : Quoi ?
Je jure sur ma toge…
LE CHŒUR : Entendez
le descendant de la glorieuse Agrippine, quel noble feu et quelle noble flamme
échauffent les fiers herbages de ses joues.
LE CONTRE CHŒUR : Entendez-le,
d’accord, mais Neptune, dieu courroucé, désirerait entendre autre chose que ce
gamin.
TOUS (tambourinent) : Au fait !
Au fait !
LE PRINCE BOB : Ces
deux chœurs, soit on s’en débarrasse, soit on les recule jusqu’au final, ils ne
font qu’accrocher l’action.
NORA (ironiquement) : En trois
temps, hein ?
LE MARI DE NORA :
Je ne te reconnais plus, Nora.
OLSON :
Je veux le soleil ! Ma mère, donne-moi le soleil.
TOUS : Au
fait ! Au fait !
HAMLET (revenant à lui de ses rêveries) : Pardon !...
Bref, cela commença par cette histoire de frac. Mais cela était encore
supportable, et aussi les tracasseries de l’employé de bureau. Mais la première
tentative téméraire s’étant achevée sans conséquence, les directeurs de théâtre
et les metteurs en scène s’enhardirent. Non seulement ils se mirent à exposer
au grand jour un esprit anachronique, mais ils altérèrent aussi l’intrigue. Ils
altérèrent les caractères. Ils menacent désormais nos intérêts vitaux. Être ou
ne pas être.
TOUS (dans la confusion) : C’est
inouï ! Quel scandale ! On ne peut pas tolérer cela ! (Grand brouhaha.)
MARGUERITE : Moi,
c’est nouveau, on me mettra en scène au National de façon que je ne tue pas mon
enfant, parce qu’il y a beaucoup de jeunes écolières et lycéennes dans les
rangs du public. Qu’on ne serve pas ça aux gens. Si Papa Faust apprend
cela, même au-delà de Thulé il se retournera dans sa tombe.
ERNA (de L’Éveil du Printemps) : Et
moi, que dois-je dire ? Je n’ai même plus le droit de pousser un cri sur
la scène. On risquerait de l’entendre.
SHYLOCK : Toutes
ces considérations politiques entament ma renommée. Chacun des ministres me
doit, si ce n’est pas davantage, un kilo de viande. Mais ça ne leur fait ni
chaud ni froid. Et Bárdos[20],
lui, depuis qu’il a pris du galon, est de mèche avec les autres. Bientôt il hungarisera mon nom en Sajó.
NATHAN LE SAGE : Et
il vous enverra en chirurgie plastique pour votre nez.
CYRANO : Qui
parle ici de nez ?
HENRY VIII : De
moi ils ont fait un film ! Allez le regarder pour voir de quoi j’ai l’air
– ils me tournent en ridicule !
ANNE BOLEYN : Ils
m’ont exécutée dans le film aussi !
ÉLISABETH D’ANGLETERRE : Les
adaptateurs de fraîche date ont tendance à éliminer Essex ou en font une pièce
à part, dans laquelle je ne joue qu’un rôle secondaire. Honte et humiliation, blame and shame !
PIRI (d’« Antonia ») : I am Piri.
ADAM (agite la clochette) : Écoutons
le conférencier !
HAMLET : Honorable
assemblée générale, ce ne sont pas seulement nos intérêts vitaux qui sont
menacés par cet esprit iconoclaste et irrespectueux, mais du point de vue de la
génération future il représente pour nous un fatal danger. Désormais la
situation est devenue telle que nos pères, les auteurs dramatiques, n’écrivent
même pas le troisième acte, ils apportent seulement deux actes au directeur,
qui dans tous les cas leur dictera une conclusion à sa convenance, ou comme il
dira, une fin qui d’après lui est préférée par le public.
UN
RÔLE DE BÚS-FEKETE : Demandez quelle était ma fin de pièce,
à l’origine.
UN RÔLE DE FODOR : Moi
non plus je n’étais pas un happy end à l’âge d’un prunier.
AZRA : Moi,
personne ne m’a touché.
LA DAME DE CHEZ MAXIM’S : Pour
vous c’est facile, vous mourez parce que vous aimez. Moi, aimer c’est mon
gagne-pain.
LA DAME AU CAMÉLIA :
Laissons cela. On peut aussi mourir d’aimer.
LIEUTENANT IRJA : Il
faut en tirer les conséquences.
LEA LYON : Vous,
taisez-vous. Un rôle qui vit de ne pas exister. Et même pas original !
JEDERMANN : Je
suis tout le monde, et pourtant je ne réussis pas.
TARTUFFE : Parce
que tu n’as pas en toi une vraie humilité, mon fils.
CYRANO : Silence,
vieil hypocrite ! C’est Monsieur Hamlet qui a raison. Nous vivons un
moment décisif.
HAMLET (avec tact) : Pardon, c’est mon
affaire, veuillez ne pas me voler mon rôle. Au demeurant, j’ignore ce qu’il
faut faire, je ne me suis pas encore décidé. Auriez-vous l’amabilité de faire
des propositions ? (Il s’assoit.)
OPHÉLIE (soucieuse) : Que tu sembles
blême ce soir, mon bon Monsieur. Je crains que cette morose tristesse altère ta
précieuse personne.
LOTTY (de « Les Amies ») : Ma chérie, laissons cela, c’est hors sujet…
Les affaires amoureuses, de nos jours on n’en discute plus avec son idéal mais
avec son médecin.
UN RÔLE DE O’NEILL : Va chez ton analyste,
Ophélie !
LE DIABLE : Très
juste. Une femme moderne a recours au freudisme pour soigner ce genre de mal.
C’est cela qui décidera s’il s’agit d’un complexe d’infériorité, ou d’un
complexe d’Œdipe.
ŒDIPE (nerveusement) : Vous
désirez ?
LILIOM (en aparté) : Putain…
DORYAN GRAY (poliment) : Voyez-vous, toutes
les apparences ne trichent pas, mais tous les tricheurs apparaissent. Ne prenez
pas cela mal.
ŒDIPE : Qu’est-ce
que vous appelez complexe d’Œdipe ?
L’HOMME EN
OR : Messires et gentes dames, nous devons faire quelque chose, c’est
pour cette raison que nous sommes réunis. Il est certain que de notre point de
vue les choses peuvent tourner très mal si ce sont des mains non initiées qui
essayent de dénouer le nœud du drame. Néanmoins nous devons aussi comprendre
les directeurs de théâtre. Les bonnes pièces, il faut les jouer, même si
l’environnement qui les a inspirées n’a plus cours – peuvent-ils faire autre
chose qu’essayer de s’adapter au goût de leur temps et de leur public ?
Ici il convient de trouver le juste milieu. Ne pourrait-on pas inventer quelque
chose pour les précéder – avant que
ce siècle tente de s’immiscer violemment dans notre destin, nous pourrions
essayer de nous adapter de notre côté. Observons-nous les uns les autres et
apprenons, pour que nous ne soyons pas
obligés d’apprendre d’eux. Prenons en considération l’évolution, le progrès de
la technique. Faisons des concessions dans la direction d’une issue favorable.
Soyons sincères – loin de moi l’idée d’offenser nos illustres confrères, les
rôles shakespeariens – mais vu avec les yeux d’aujourd’hui, il n’est pas juste
que chacun d’eux meure à la fin de la pièce. Après tout, un metteur en scène
n’est pas un thalassothérapeute pour organiser des bains de sang à la fin de
toutes les pièces.
BUNBURY : Ce
serait trop, même pour un maître-nageur.
LE ROI LEAR (vivement) : En somme – moi je
n’ai qu’à crever, mais ce vil Gloucester qui m’a mené à la tombe, reste en
vie ? Jamais ! La peste le frappe !
ANNA KARÉNINE : Laissons
ces termes techniques des courses de chevaux, moi je pense toujours au pauvre Vronsky.
OTHELLO : Vous
voulez dire que je dois laisser Iago en vie ?
NORA : Desdémone, laissez-la en vie, elle ne vous a rien fait.
OTHELLO : Cela
n’est pas possible, si ce n’est pas elle, alors quelqu’un d’autre !
Quelqu’un m’a bien trompé en mon absence – quelqu’un m’a vilement trahi, moi je
dois absolument le trouver celui-là. Sang, sang, sang !
LA DU BARRY : Aïe,
mes nerfs… Ne hurlez pas comme ça. (Elle s’éponge la figure.)
OTHELLO : Le
mouchoir !... Meurs, infâme !
LYSISTRATA (le gifle) : Veux-tu bien
déguerpir !
PISTA LE MÉCHANT : Veuillez
le laisser, Madame ! Monsieur a raison, c’est ainsi qu’il faudrait traiter
toutes les femmes coquettes – c’est toujours celles-là qui font fendre le cœur
des braves gars.
Le gars pense en bon
garçon
Que la Desdémone est coquette,
Tout comme des Mâtin
la Suzon,
Qui même les matins
caquette.
RÓZSI FINUM (les mains sur les hanches) ; Non
mais, saperlipopette, vous là-bas ! Vous n’voulez pas ficher la paix à
cette petite colombe, qui est un trop beau trésor à un pareil sale nègre à tête
de corbeau ? Gare à toi ! (Elle
saisit un balai et poursuit Othello.)
CORDÉLIA (se tait et aime).
RICHARD III (empoisonne Cordélia
par-derrière) :
LADY MACBETH (empoisonne Richard III).
BRUTUS (attaque Lady Macbeth avec un poignard.
Mêlée générale, bagarre, Rózsi Finum essaye d’arroser Brutus avec un seau d’eau, mais elle
arrose César).
JULES CÉSAR (douloureusement) : Tu quoque mi Rózsi ! (Il meurt.)
ADAM (agite sa sonnette) : Ça
suffit ! Arrêtez ! Qu’est-ce que c’est ici ? – On débat ou on
s’amuse ?
JOSEPH II : Ça
ne peut pas continuer. D’un trait de plume je reprends tous mes édits
bienveillants.
LA VEUVE JOYEUSE : Comme
ça, nous ne pourrons jamais nous comprendre. Cela fait une demi-heure que nous
sommes ensemble et je n’ai pas eu l’occasion de chanter le moindre refrain.
Danilo, vous tolérez cela ?
DANILO : À
mon humble avis tout ce chambardement est à cause de ces Messieurs et Dames
assoiffés de sang. Je propose qu’on exclue des pourparlers tous les rôles shakespeariens.
TOUS : D’accord !
D’accord ! Ils sont incorrigibles ceux-là, il y a toujours du désordre là
où ils sont. Du balai !
PEER GYNT : Je
proteste ! Aucune décision ne peut être prise sans eux !
LE NOTAIRE DE PELESKE : Si
vous protestez, alors partez, vous aussi avec eux, hurluberlu !
PEER GYNT : Et
comment, que je pars ! Et vous tiendrez un congrès tronqué ! Ce qui
se passe ici ne sera pas valide ! Venez, mes amis, suivez-moi ! Nous
serons la vraie constitution du pays de l’imagination !
(Les rôles shakespeariens sortent
solennellement avec Peer Gynt à leur tête. Roméo
et Juliette traînent en queue de la marche.)
JULIETTE : C’est
vrai, Roméo, tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu es Roméo.
ROMÉO (nerveux) : Moi j’ai du poison
dans le ventre et tu me poses des rébus. Est-ce que, si d’aventure je
m’appelais Rottenbiller, est-ce que je saurais dire pourquoi je m’appellerais
Rottenbiller ? C’est simplement mon nom. (Tous sortent.)
PHILIPPE DERBLAY : Enfin,
l’atmosphère est nettoyée de cette engeance qui n’avait rien de chevaleresque.
(Il renifle.) Il doit en rester un.
BOTTOM : Excusez
– c’est moi. À cause de la tête d’âne que j’ai sur le cou je croyais passer
inaperçu, qu’on me compterait parmi vous.
CYRANO : Eh,
petit chevalier, vous auriez pu le dire plus gentiment. Comme blague c’était
tolérable, mais ça manquait d’élégance.
LOUISA (d’« Intrigue et amour ». En colère) : C’est
facile pour vous, vous êtes bien traduit, mais que dois-je dire, moi ? Si
vous m’entendiez à l’original !
CÉSAR : Quel
ton asiatique !
TOKÉRAMO : Eh,
tout doux ! Cette profondeur bouddhiste de plusieurs millénaires que nous
représentons, nous, Orientaux, est tout de même supérieure au barbare Moyen Âge
occidental.
TSAO SE (d’une pièce chinoise) : Oui,
l’original. Mais en ce qui ce qui concerne le mandarin Melchioresque,
de Menyhért Len-Ddjel,
je ne souviens pas de vous avoir rencontré au sommet du Fuji Yama.
MADAME BUTTERFLY (vexée) : Bon, ce n’est pas la
peine de se vanter de son origine. Je n’ai pas été mise au monde non plus par Lao-Tse, seulement par Puccini, pourtant je suis aussi
asiatique que vous.
UNE GEISHA : Nous
aurions bonne mine si la question de la pureté raciale devait se poser ente
nous aussi. En Allemagne, par exemple, on ne pourrait plus jouer du Wagner.
LOHENRGRIN (sursaute) : Qu’est-ce que vous
entendez par-là ?
LA GEISHA ; J’entends
que d’après les dernières informations il y avait aussi une petite fausse note,
du côté d’une grand-mère. Vous en avez entendu parler, non ?
LOHENRGRIN (avec dignité) : Nie sollst du mich befragen.[21]
BUNBURY : Ladies
and Gentlemen, nous sommes restés entre nous, citoyens pacifiques, de bonne
foi, qui aimons la vie et si possible, évitons de la compliquer, au contraire,
dans la mesure du possible nous essayons de résoudre les dilemmes difficiles
sans violence. Moi par exemple, quand il s’agit de la lutte pour la vie,
c’est-à-dire de l’estomac, plus important que le reste, je me contente d’un
canapé aux cornichons. (Il en avale un.)
Les confrères par moi très respectés, les rôles shakespeariens, ont rendu
impossible la réalisation de la bonne proposition de notre excellent président,
Mr. Adam (Il s’incline.) et de
Mr. Goldmann (Il s’incline vers
l’homme en or.), selon quoi les grands rôles de la littérature mondiale
devraient de leur plein gré se mettre d’accord de façon autonome, trouver une
solution de compromis avant qu’il ne soit trop tard et que nous tombions sous
le pouvoir de directeurs de théâtre et de producteurs avares. Je propose donc
que nous nous mettions d’accord. Étant donné qu’à ma connaissance la crise est
causée chez nous tous essentiellement par des difficultés amoureuses, je
suggère tout de suite pour ma part que les représentants des solutions plus
faciles prêtent celles-ci aux représentants des solutions plus difficiles,
autrement dit qu’ils leur disent de régler leurs affaires amoureuses.
LE
BAN BÁNK : Bien parlé, l’Allemand. Je pardonne la faute de ma
belle et douce Melinda, encore que, le cœur lourd, parce que je suppose qu’elle
n’y était pour rien, pas plus que la belle Desdémone.
Si, donc, je me suis vengé de celui qui a commis la faute et qui l’a entraînée
à la lubricité – je suis prêt à une réconciliation – mais d’ici-là…
GERTRUDIS (pousse un cri) : Jésus Marie –
c’est moi qu’il soupçonne ! Sauvons-nous, viens, Otto ! (Elle sort en courant.)
LE
BAN BÁNK : Ah, maudit boyard ! (Il le poursuit.)
TIBORC (se plante devant lui) : Seigneur
– le peuple souffre de misère.
LE
BAN BÁNK : J’entends ta plainte, mais je donne ici la priorité à
ma propre misère, adresse-toi peut-être à un rôle de Gerhardt Hauptmann. (Il sort.)
LE VOITURIER HENSCHEL
(à Tiborc) : Laisse
tomber, frère. Leur propre problème a toujours été plus important pour les
seigneurs que la misère du peuple. Viens avec moi, allons rejoindre les
Tisserands.
PAUL PRY : Ça
ne marche pas comme ça, nous ne pouvons pas continuer tant que ceux-là ne
seront pas de retour.
JOHN TANNER (le superman) : Laissez-les,
ils sont mieux là-bas, dans le parlement tronqué, parmi les fidèles de
Shakespeare. Maintenant, après coup, je peux vous dire que je les ai toujours
comptés là-bas. Ce n’est pas un hasard s’ils étaient un sujet favori de
Grillparzer.
JASON (vexé) : Et moi ? Je n’ai
pas tué Médée, j’ai simplement divorcé pour pouvoir épouser Créuse.
MÉDÉE : Oui,
mais tu m’avais promis que tu écouterais d’abord ma chanson. Je connais en
effet une chanson, Jason.
LA MAMAN GYURKOVICS (apeurée) : Ne l’écoutez pas,
pour l’amour du ciel, elle va incendier la maison Brazovics,
même la toison d’or risque d’y passer. Laissez plutôt tomber cette Créuse pleurnicharde et épousez ma fille du milieu.
JOHN TANNER : Honorable
assemblée générale, vous voyez où peut conduire votre crédulité. Le compromis
pour moi ce n’est pas pardonner ou ne pas pardonner. Dans tous les cas ça
conduit à un malheur s’il y a une femme et de l’amour dans l’intrigue. Il vaut
mieux abandonner tout ce jeu ennuyeux, c’est la vraie vocation de l’homme
supérieur. Il convient de supprimer l’amour et l’idée fixe que nos prédécesseurs
avaient appelée « bonheur » et ont présentée comme un but par-dessus
tout. À mon sens la vocation est le paradis et le bonheur c’est l’enfer !
LE DIABLE (sort de son rôle) : C’est
inouï ! Quelle insolence ! Malédiction ! Nous ne tolérons pas
que vous calomniez l’enfer !
SALOMÉ : Vous
avez raison ! J’exige la tête de John !
(Elle entreprend une danse des sept voiles.)
CARMEN : C’est
très juste, elle a raison ! Le bonheur s’envenime toujours en un
enfer ! Si je t’aime, prends garde à toi ! (Elle toque sur la table.) Don José, poignardez-le ! (Elle tombe sur son sabre.)
MIMI (de « La Bohème » en chuchotant) : Je
m’appelle Mimi, j’ignore pourquoi. Mais ce Monsieur sévère n’a pas raison.
JOHN TANNER : Je
n’ai pas raison ? Alors écoutez-moi. Je vais tout expliquer. Le fait est
que…
MARY (s’approche, lui caresse le bras) : Go
on talking. Cause toujours.
JOHN TANNER (nerveux) : Qu’est-ce que tu
veux ?
MARY : J’ai
apporté nos documents de mariage.
JOHN TANNER (hurle) : À Grenade !
(Il part en courant, Mary le suit.)
MARIE STUART : Fi
donc ! Quelles manières ! Se sauver d’une Lady !
JEANNE
D’ARC : Laissez-le, Madame, il fera un bon soldat.
RASKOLNIKOV : C’est
ça. On a besoin de soldats. Besoin de Napoléons et non de roucoulements
amoureux. Si de vieilles usurières pouvaient ne pas exister en ce monde, pour
barrer la route à une âme ambitieuse.
MADAME WARREN (vexée) : Que veux-tu de
moi ?
MADAME SANS-GÊNE (minaude) : C’est qui, ce
Napoléon ?
BUNBURY (agite une sonnette) : Quel
boucan ! Silence !
L’ASPIRANT MUET : Je
vous en prie, je n’ai pas dit un seul mot.
BUNBURY : Nous
serons de moins en moins nombreux pour faire un compromis.
JEAN
LE PREUX : Nous sommes encore trop nombreux. J’aimerais rester seul
avec ma Juliska bien aimée.
LA
MÉGÈRE APPRIVOISÉE (sursaute) : De
l’ordre ! De l’ordre ! Jetons dehors ces joueurs de flûte !
PETRUCCHIO : Tu
joueras encore de la flûte, c’est moi qui te le dis.
SVENGALI : Je
demande la parole. Si nous n’arrivons pas à progresser, c’est parce que dans le
fond toutes ces ruses et tous ces pièges incarnent aussi de la violence, ils ne
tuent peut-être pas le corps, mais ils assassinent l’âme. C’est par la douceur,
imperceptiblement qu’il convient de maîtriser les âmes, et non par la violence.
Mon cher ami associé…
LE
JOUEUR DE FLÛTE DE HAMELIN : Me voici, à votre disposition.
SVENGALI : Allons-y,
ramenons tout le monde à la maison.
(Il hypnotise les Rôles qui se figent et se
mettent en rang dans leur sommeil éveillé, ils se mettent à suivre Svengali et le joueur de flûtes de Hamelin, jusqu’à ce que
la salle se vide.)
LUCIFER (ironiquement, à Adam) : Alors,
Adam ? C’est toi qui voulais ce congrès. Je t’ai conduit ici, tu as pu
voir ce que c’est devenu. Veux-tu que nous continuions le voyage ?
ADAM (hésite) : Restons encore un
peu. Dans quelques minutes il sera minuit, et attendons aussi Ève qui change
chaque fois de toilette tout en restant inchangée. Peut-être se passera-t-il
quelque chose pendant cette attente.
PUCK (se précipite sur la scène) : Dégagez
la scène, faites de la place !
LUCIFER (étonné) : Qu’est-ce qui se
passe ?
PUCK : Vous
surtout, déguerpissez, et vite fait ! On va commencer le vrai – le grand mystère de la Passion !
ADAM : Qui
est l’auteur ?
PUCK : La
Foi, source de tout art ! Allons, allons, on commence ! Première
scène : messe de minuit, la veille de Noël ! Lieu : crèche dans
une étable à Bethléem. Figurants : plusieurs bergers et trois rois. Rôle
principal : le nouveau-né, son nom : Amour.
Színházi Élet, 1936, n°52.
[1] Gertudis, Tiborc, personnages de la pièce Le ban Bánk de József Katona
[2] Personnage de la pièce d’Oscar Wilde : L’importance d’être Constant.
[3] D’une pièce de Mór Jókai.
[4] Personnage de la pièce éponyme de Gerhart Hauptmann.
[5] De la pièce Paul Pry le bavard de l’anglais John Paule.
[6] De la pièce Man and superman de Bernard Shaw.
[7] Personnage de l’opérette éponyme de Jenő Huszka.
[8] De la pièce Les enfants Gyurkovics de Ferenc Herczeg (1863-1954)..
[9] D’une pièce de Ede Tóth (1844-1876).
[10] D’une pièce de Aladár Schöpflin (1972-1950).
[11] László Fodor (1896-1978) ; László Bús-Fekete (1896-1971). Auteurs dramatiques.
[12] De la pièce éponyme de Jenő Heltai (1871-1957).
[13] De la pièce éponyme de Petőfi.
[14] D’unne pièce éponyme de József Gvadányi (1725-1801).
[15] Du roman Triby de Georges du Maurier
[16] Personnage d’une pièce éponyme de Rózsi Meller (1302-1960), elle-même adaptée d’une nouvelle de Kataïev, Lieutenant Komma.
[17] Personnage d’un film hongrois éponyme (1915) d’Alexandre Korda.
[18] Personnage d’une pièce éponyme de Hugo von Hofmannsthal.
[19] D’une pièce de Melchior Lengyel (1880-1974), Typhon.
[20] Artur Bárdos (1882-1974). Directeur de théâtre.
[21] Ne me pose jamais cette question.