Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
les jumeaux
J’ai toujours bien
aimé la littérature des légendes et des contes sur la gémellité, tant sous
l’aspect artistique que scientifique : comme nous savons, une recherche
fiévreuse se déroule de nos jours sur la base des lois de Mendel, également
dans les arcanes de la physiologie, pour mettre définitivement au clair le
problème des jumeaux. J’ai essayé moi-même d’écrire des histoires intéressantes
et plaisantes, basées sur des malentendus découlant de
Il s’agit naturellement toujours de vrais
jumeaux, forcément de même sexe, qui se ressemblent vraiment comme deux œufs –
ajoutons, pour être précis (ce que l’on omet généralement d’ajouter) :
comme un œuf ressemble à un autre œuf ce
matin, car les œufs d’hier diffèrent sensiblement des œufs d’aujourd’hui en
ce que, je l’entends dire, leur prix a encore augmenté de deux fillérs.
Les deux frères dont l’un (mais c’était
peut-être l’autre) m’a raconté l’histoire qui suit, sont de vrais jumeaux, et
c’est un véritable miracle s’ils ne se confondent pas eux-mêmes avec leur frère
et le matin par exemple, quand encore vaseux, devant la glace, ils ne crient
pas, furieux : cet imbécile de János a encore réveillé mon frère à ma
place, je serai en retard au bureau.
Il faut savoir qu’ils ont un bureau commun,
ils sont tous les deux avocats, pareillement excellents dans leur profession.
Mon histoire a démarré lorsque j’ai demandé
à l’autre (mais c’était peut-être l’un) s’ils ont déjà un jour tiré un avantage
de leur fantastique ressemblance. Je pensais apprendre s’il leur était déjà
arrivé de se remplacer l’un l’autre dans des cas urgents, si, en cas
d’empêchement de l’un, l’autre avait pu corriger cette absence par sa présence.
S’ils ont eu l’occasion de remplacer l’autre, par exemple, sous les drapeaux,
devant la loi ou à un rendez-vous d’amoureux.
- Allons, il est trop facile
d’imaginer ce genre de chose – a répondu celui que j’ai interrogé (mais
peut-être c’est celui que je n’ai pas interrogé qui m’a répondu). –
physiquement il y aurait sûrement moyen pour nous de nous présenter l’un à la
place de l’autre. Nous l’avons fait en effet une ou deux fois pour un duel,
quand l’un avait autre chose à faire, et pour une légère contrepartie l’autre
aillait se battre pour lui. Mais dans des cas plus sérieux cela ne vaut rien,
car les hasards que représentent les personnes faillibles, ne sont pas aussi
solides que notre ressemblance.
- Que voulez-vous dire avec les
personnes faillibles ?
- Écoutez, aujourd’hui je peux tout
vous dire, parce que c’est une histoire ancienne. C’est moi qui ai soutenu le
premier ma thèse d’avocat, car mon frère était à
Az Est, 3 décembre 1936