Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
ekmekstek
Juin 1957
(de notre correspondant)
Une grande fête a clôturé la neuvième édition
du championnat ekmekstek international, que pour
notre plus grande fierté l’éminente direction de la fédération internationale a
organisé cette fois à Budapest.
Le champion du monde, comme la presse ekmekstek spécialisée américaine et anglaise l’avait
prédit, fut une fois de plus ce Bemberson natif de
Chicago, dont on raconte qu’en réalité il serait d’origine hongroise, il aurait
vu le jour dans notre Chicago du Bois
de la Ville, et c’est d’ailleurs ici qu’enfant il a mené ses premiers combats
d’ekmekstek, entre des lignes tracées dans la
poussière, dans un temps où les géniaux savants de ce sport extraordinaire
n’avaient pas encore élaboré les règles de l’art ekmekstek.
Le génie de Bemberson
a bien sûr brillé une fois de plus cette année. Déjà au championnat par paires
l’année dernière à Amsterdam on pouvait pressentir que son art avait pris une
nouvelle tournure, lorsqu’il s’était lancé à approfondir les raffinements des
nuances du frottement double et du saut de cheval d’arçons par la droite. Son
redoutable adversaire, le japonais Tao Tseu, champion de l’année 1952,
maîtrisait mieux pendant un long moment le troisième cube et il montrait aussi
une certaine supériorité dans la haute école du saut dans le cube médian, mais
cette année Bemberson avait travaillé la tactique
avec une persévérance d’acier et le résultat ne s’est pas fait attendre.
Notre capitale a fait le maximum pour que
cet événement mondial soit digne du grand honneur d’avoir été choisie par le
comité comme site de l’olympiade ekmekstek de cette
année.
Le Palais des Arts de l’Île Marguerite a
fourni un cadre somptueux à l’événement, il a en effet mis toutes ses salles à
la disposition des compétiteurs et des spectateurs venus des quatre coins du
monde. Les organisateurs furent à la hauteur – des tapis excellents et des
tribunes adéquates ont permis un déploiement parfait des compétitions. Notre
meilleure équipe ekmekstek, le MESz
(Fédération Hongroise d’Ekmekstek) a mis en ordre de
bataille ses joueurs expérimentés afin de veiller au bon déroulement de chaque
match. L’enthousiaste responsable de la rubrique ekmekstek
de notre journal décrira ci-dessous la marche des matchs les plus intéressants
enrichie de ses analyses, pour maîtres, intermédiaires, débutants et profanes.
Nous nous contentons, nous, de rendre modestement compte des résultats.
La remise du grand prix de deux fois dix
mille pengoes et de la coupe itinérante Roosevelt fut précédée d’une ovation
gigantesque. Le champion du monde ainsi que ses trois premiers assesseurs
réunis sous la tente d’honneur furent conduits aux fauteuils ornés de palmes
par le ministre de la culture en personne vêtu du costume d’apparat hongrois, accompagnés
de la liesse du public. Ce fut un sentiment réjouissant d’entendre souhaiter
bonne chance dans les multiples langues des multiples nations au milieu des
exclamations d’enchantement. Par la suite le secrétaire d’État aux affaires
étrangères a prononcé un discours animé, il a comparé les champions d’ekmekstek à des chefs militaires pacifiques dont la
popularité inouïe soutient la cause glorieuse du combat culturel du monde, face
au danger latent et menaçant de l’extension sourde de la philosophie et de la
poésie contre l’humanité cultivée.
Hélas, la belle célébration, dont la
jeunesse fanatique de l’art ekmekstek se souviendra
longtemps, a dû être suspendue une demi-heure plus tôt que prévu à cause d’une
attaque aérienne des assaillants hottentots annoncée dès la veille.
Magyarország,
23 juin 1937.