Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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NOUVEAU ROBINSON

 

Tout le monde est au courant qu’entre mille neuf cent trente et… et mille neuf cent trente et…, pendant environ deux ans, j’ai été peu présent dans notre littérature nationale, seuls mes anciens écrits ont parfois été publiés ; mes lecteurs pensaient que j’étais parti pour un voyage autour du globe et que je ferais le compte rendu de mon expérience après mon retour. Ce compte rendu n’a pas été fait, après mon retour j’ai poursuivi là où je m’étais arrêté. L’intérêt que mon entourage avait un temps encore gentiment témoigné pour moi, a petit à petit pâli, les gens ont oublié mon absence temporaire.

J’ai le sentiment qu’après tant d’années le moment est venu de mettre fin à ce culte du secret. Je vais donc vous révéler ce qui m’est arrivé pendant ces trois années, je vais le dire franchement et sans honte aucune.

Comme quelques-uns de mes amis s’en souviennent encore, j’avais posté ma dernière lettre d’un petit voilier britannique dans le port de Melbourne, je précisais que nous partions pour une excursion dans un archipel à proximité, puis je prévoyais un voyage en Afrique.

Cette excursion a eu lieu, ou plutôt… elle a commencé. Après trois jours de navigation sous des vents favorables, nous nous sommes retrouvés dans une terrible tempête, et alors au même moment notre brave voilier a fait eau, a pris feu, s’est échoué, a coulé et par-dessus le marché son vernis s’est écaillé. Avec quelques gars nous avons sauté dans un canot de sauvetage, mais nous n’avons pas pour autant recouvré la tranquillité, car la tempête nous a poursuivis et une de ces tornades si connues sous ces latitudes a aspiré tous mes compagnons à côté de moi. Si j’ai pu avoir la vie sauve c’est parce que je me suis solidement accroché au pinceau avec lequel j’étais en train de passer à la chaux ou plus exactement au goudron, la proue de notre frêle esquif. J’ai sincèrement compati, mais j’ai surtout ressenti une joie maligne vu que tout le reste de nourriture me revenait désormais à moi seul lorsque, comme en guise de châtiment pour mon égoïsme, les choses prirent une horrible tournure. Je jouissais depuis deux heures à peine des plaisirs de la solitude quand j’ai remarqué que les clous, ainsi d’ailleurs que les vis, dont la fonction était de tenir ensemble les pièces de mon canot, s’envolaient un à un de leur logement. Les planches s’écartèrent petit à petit les unes des autres, le canot se remplit d’eau, et à l’instant où l’ensemble coulait, la lumière s’est faite dans mon esprit : vraisemblablement je me trouvais au-dessus d’un mont magnétique sous-marin d’une force effroyable.

Mais je n’eus pas beaucoup de temps pour me féliciter de mon savoir et de ma perspicacité. Gisant sur une planche j’ai perdu connaissance et je n’ai rouvert les yeux que lorsque les vagues me déposèrent sur le rivage d’une île.

Portant un regard alentour j’ai aussitôt compris que je me trouvais sur une île déserte. En effet, aucune trace nulle part d’un port ou d’une gare, ni rien de semblable, aucun portefaix ne s’est présenté pour mes bagages ni personne n’a réclamé mon passeport. Mais cela ne suffit pas, j’ai aussi compris rapideùent que jamais aucun homme n’avait encore mis le pied sur cette île : à peine quelques minutes plus tard un thon de bonne taille sortit de l’eau sur la plage pour prendre un bain. Quand il me vit, il ne recula pas, il me regarda longuement bouche bée. Je m’adressai à ce thon en anglais, mais il secoua la tête. Encouragé, je voulus le caresser, mais il m’asséna un coup de nageoire sur la main puis disparut.

J’ai tenté d’explorer l’île plus avant et j’ai constaté avec plaisir que je me trouvais dans une région tropicale richement pourvue – des végétaux, des fruits à profusion, des élevages naturels de toutes sortes d’animaux qui figurent seulement sur la carte des restaurants de luxe, depuis les homards jusqu’aux bisons et aux singes.

Eh bien, me suis-je dit, il n’y aura pas grand-chose à craindre ici. Naturellement j’ai immédiatement vu clair dans ma situation et j’ai compris que je vivais la fameuse aventure de mon idéal d’enfant, Robinson, qui s’est renouvelée en ma modeste personne. Mais quelle différence ! Je me suis réjoui en pensant à quel point j’en savais plus que mon prédécesseur si, le cas échéant, j’étais obligé de m’installer durablement ici comme lui. Car que savait-il, Robinson, par rapport à moi ? Ce n’est pas un excès d’orgueil de ma part si j’évoque ce que mes lecteurs savent de toute façon sur mon compte, que ma culture générale embrasse quasiment toutes les branches des sciences théoriques. Je suis à l’aise en physique, en mathématiques, dans les techniques – mais oui, les techniques, et ici c’est le principal ! Je suis « à jour » comme on dit, je possède tous les acquis théoriques de notre temps, qui plus est j’ai des connaissances linguistiques modernes, j’ai lu de bout en bout l’œuvre majeure de Galsworthy et de Proust et je connais des quantités de poèmes par cœur, encore que ce dernier point me paraisse momentanément de peu d’utilité.

Mon amour-propre s’en est senti grandement rassuré. Mon Dieu, ce que je vais faire ici tout seul ! Je ne me donne pas deux mois pour, en possession de toutes mes connaissances et de tous mes savoir-faire, occuper et dominer tout simplement cette île, mettre à mon service tous les êtres vivants, plantes et animaux, à la façon de mes excellents ancêtres européens, qui, principalement au siècle dernier, ont tout inventé et découvert, tout ce qui permet à l’homme de surpasser la nature si riche mais ignorante et sans talent.

Alors, vieux Robinson, tu veux venir prendre des leçons !

Pour commencer…

Pour commencer j’ai remarqué que je n’avais pas encore pris mon petit-déjeuner. Rien de plus facile, de toute façon j’avais décidé de maigrir et de suivre une cure d’amaigrissement – des citrons et des oranges magnifiques poussaient non loin de là : j’utiliserai les acquis de l’agrumiculture moderne, je les croiserai pour en faire des pamplemousses. Je vais greffer le citron sur l’orange, ou alors l’orange sur le citron… Comment ça marche au fait ? Je ne sais plus, mais ce n’est pas urgent, ça me reviendra. Pour l’instant je vais m’offrir deux oranges sanguines.

Je me suis approché d’un des arbres, je tendis la main vers un beau spécimen qui pendait.

À ma grande surprise un chimpanzé costaud me regardait d’en haut – j’ai instinctivement fait un pas en arrière. Il posa sa main en visière pour mieux m’examiner, puis il s’élança dans ma direction. Il se mit à glapir n’importe quoi, des choses incompréhensibles.

Remini baté sibore ! – répondis-je, tremblant.

Ô surprise !

Remini baté sibore ! – répéta le chimpanzé, pris d’une soudaine bonne humeur, pour avoir été si bien salué.

Figurez-vous qu’il s’avéra qu’il parlait couramment le baragouin. Nous verrons par la suite que sur mon île tous les animaux et même toutes les plantes comprennent parfaitement ce langage, c’est ainsi qu’ils communiquent entre eux. Voici le premier résultat de valeur douteuse, en fait un échec et une déception (comme on voudra), avec mon immense savoir et ma culture j’ai sur le moment essuyé un échec, en revanche la sottise la plus idiote de ma vie, le langage baragouin qui est totalement inutilisable dans notre civilisation, s’est avéré pratique et fort utile ici. J’ai enfin appris que le fameux « Remini baté sibore » que j’ai inventé et prononcé instinctivement à l’âge de vingt ans est clair et sensé pour les êtres vivants par nous prétendus stupides (au moins là où on ne connaît pas encore l’homme), et cela signifie chez eux : « Je suis à votre service, je vous souhaite le bonjour, comment allez-vous ? » Par contre, notre langage à nous est pour eux du charabia.

Par la suite la conversation se poursuivit de façon fluide. Je lui ai révélé d’où je venais, à quelle espèce j’appartiens, et prudemment mais fermement j’ai fait des allusions à mes projets :

- Conscient de mon savoir supérieur et de mon intelligence je souhaite prendre possession de cette île avec toutes les cultures qu’elle contient.

Il m’écouta en se grattant le nez. J’ai pensé que je l’avais peut-être effrayé. Je lui ai donc généreusement proposé de partager mon pouvoir, au titre d’une sorte d’assistant ou secrétaire d’État ou similaire, sous réserve de se mettre à mon service et de suivre fidèlement mes instructions.

- Puisque, selon Darwin, ajoutai-je avec un paternalisme condescendant pour l’assurer de mes sentiments démocratiques, nous serions des parents après tout !

Il a éclaté d’un rire tel que cela secoua durement l’oranger.

- Nous deux, vous voulez dire, vous et moi ? – finit-il par dire. – Avec cette gueule sur votre cou ? Avec cette peau nue, avec ces mains infirmes sur votre train arrière, qui ne servent même pas à vous accrocher à une branche d’arbre ? Vous me faites rire, mon vieux. Merci pour votre intérêt, mais quant à la parenté… Il se peut bien que mes ancêtres très anciens vous ressemblassent, mais pardonnez-moi, quelques centaines de milliers d’années ont passé depuis ! Regardez un peu mes muscles !

Il fit une culbute en l’air, puis il rattrapa sa branche.

J’ai souri pour cacher mon emportement car j’étais vraiment en colère. J’ai opiné orgueilleusement de la tête.

- Je comptais sur vos protestations. Vous ne pouvez pas encore savoir que chez nous, les hommes, l’esprit et le raisonnement, bien plus parfaitement que l’instinct, résolvent les problèmes de la lutte pour la vie et remportent une victoire glorieuse dans la compétition de tous les êtres vivants.

Il ricana.

- Qu’est-ce que vous entendez par exemple par victoire glorieuse ? Je relève le défi.

- J’y entends par exemple que si vous ne me donnez pas cette orange, je vous la prends.

- À moi ? Essayez toujours, je vous administrerai une telle gifle que vous roulerez sept culbutes.

Je fis un geste présomptueux.

- La force brute, mon naïf ami. Je ne vous la prendrai pas, directement, à mains nues, comme vous avez l’habitude de le faire, mais je sortirai par exemple mon revolver et même à cent pas je vous exploserai.

- Revolver ? Qu’est-ce que c’est ?

Je me suis lancé dans de longues explications sur les différentes armes bizarres des hommes. Hélas, probablement par ma faute, il n’a pas tout bien compris. Je n’étais pas très sûr moi-même de la fabrication par exemple de la poudre à canon. Et, bien qu’il s’avérât qu’on trouvait du salpêtre sur l’île, je fus incapable de me rappeler ce qu’on mélange avec quoi et dans quelles proportions. Au diable tout ça ! – il me revint que c’est à cause de cette leçon que j’ai dû redoubler la terminale, à cause de Monsieur Hoffer, le prof de chimie, et depuis lors je ne m’y étais jamais remis ! Tant pis, il fallut donc y renoncer, mais il me restait les flèches. Je me mis à lui expliquer l’arc et la flèche. Il comprit assez bien.

- Où trouverez-vous le boyau ? – me demanda-t-il

- Je tuerai un cochon.

- Un cochon ? S’il se laisse faire. Avec quoi vous le découperez ? Avec vos dents cariées ou avec vos ongles rongés ?

- Avec un couteau.

- Couteau ? Qu’est-ce que c’est ?

J’ai recommencé à fournir des explications, mais je ne suis pas allé loin, car j’ignorais la façon d’élaborer le fer. Je devais être couvert de sueur car il a dû avoir pitié de moi et il me coupa la parole.

- Laissez tomber. Ça suffira pour aujourd’hui. Tiens, attrape !

Entre-temps il avait épluché l’orange, et brusquement il m’en lança la moitié. Je n’étais pas enchanté de son style, et ce qui m’a le plus affecté, c’est son tutoiement inattendu, sans que moi, de plus haut rang, je l’y aurais autorisé. En revanche j’avais très soif, j’ai donc jeté aux chiens mes principes et accepté le fruit.

Mais j’étais fermement décidé à me venger.

Dès l’après-midi j’ai entrepris la construction d’une cabane, même si je n’étais pas d’une éclatante bonne humeur : le déjeuner n’a pas réussi aussi bien que j’aurais voulu. J’ai découvert que pour préparer un bon potage il ne suffit pas d’avoir les ingrédients, surtout si l’on est en manque de moyens de cuisson. Mon célèbre prédécesseur avait frotté du bois pour y parvenir, mais moi je n’ai pas réussi. J’ai bien trouvé de la pierre à feu, mais pas de l’amadou. J’ai songé bien sûr à la technique de la lentille et du foyer, mais j’avais perdu mes lunettes, or pour fabriquer du verre il faudrait un four et encore du feu, c’était un cercle vicieux. J’ai bien attrapé une belle dinde, mais comme il me fut impossible de la rôtir, je fus contraint de discuter avec elle, or même en conversation je ne me suis pas trop bien débrouillé : dans ma distraction, à une tournure de phrase, j’ai louangé la beauté du paon, ce qui a vexé la dinde. Elle devint toute rouge et me planta là. J’ai donc mâché quelques racines et un chou-rave crus, ce qui m’a occasionné de terribles brûlures d’estomac – or, où aller chercher du bicarbonate de soude ? Je me suis rappelé que mâcher des noisettes me faisait du bien d’habitude, mais un écureuil trônait au sommet du coudrier, et bien que je fusse plus fort que lui, je ne courais pas aussi vite. Le résultat fut que les noisettes, chaque fois il me les arrachait des mains à l’instant précis où les ayant cassées je voulais me les porter à la bouche – et il s’est permis même de rire de moi. J’ai bien eu l’idée de l’enfermer dans une cage, mais où trouver la cage ? Et puis, je n’aurais jamais osé l’attraper à mains nues, car il mord.

Tout compte fait j’ai dû vite admettre que je n’en imposais à personne ici. Il y en avait qui voulaient bien écouter attentivement mes explications et mes discours de propagande sur le nouveau système que je leur avais apporté et grâce auquel j’allais faire fleurir toute l’île, j’élèverais leur culture et leur civilisation aux hauteurs inouïes d’une société de bien être, mais dès qu’on en arrivait à des solutions pratiques, il apparaissait que dans chaque métier il y en avait de plus experts que moi. Le chat et la mouche, en frottant leurs pattes avant savaient faire leur toilette bien plus aisément qu’avec le morceau de savon que j’avais préconisé. J’avais beau promettre à une assemblée populaire convoquée à cette fin de faire connaître à l’île les bienfaits de l’avion sous réserve qu’ils mettent à ma disposition les matériaux nécessaires – les oiseaux ne faisaient que hausser les épaules : quel serait l’intérêt de doubler leurs ailes de machines encombrantes ? Les autres ont déclaré « merci bien, nous ne sommes pas intéressés ». On a compris que la radio n’était pas non plus une nouveauté sur cette île – les papillons et de nombreux insectes possédaient des tentacules appelés antennes qui leur permettaient de rester en contact entre eux depuis des temps immémoriaux, et les autres s’en passaient. J’ai ensuite essayé de les impressionner avec l’idée de l’éclairage électrique. J’ai tenté de leur faire comprendre qu’il était possible de dérober au ciel la foudre divine en faisant frotter ceci et cela l’un contre l’autre et en y mêlant certains produits (j’ai récemment lu un livre de vulgarisation scientifique sur le sujet). Mais au milieu de mon discours un ver luisant avança d’un pas pour dire qu’il faisait la même chose mais beaucoup plus simplement. Et lorsque je suis passé au sujet des piles, une raie électrique fit un saut hors de l’eau et s’est si bien branchée qu’elle a failli m’électrocuter.

J’ai cru que lorsque ma cabane serait construite, ils comprendraient tout de même ma supériorité. Je leur montrerais à quoi sert la science. J’ai quelques notions de calcul différentiel et intégral, et j’ai commencé à esquisser des dessins et à calculer dans le sable de la plage, en quels matériaux et selon quel schéma je m’en sortirais le plus économiquement. Soudainement une guêpe qui me guettait depuis plusieurs minutes, s’arrêta en l’air et se mit à parler. Tout cela ne vaut rien, dit-elle, c’est l’hexagone qui économise le mieux l’espace pour placer le plus de cellules dans le minimum de place. J’avais envie de la chasser, mais je me suis rappelé qu’elle n’avait pas tort et que manifestement elle était au courant des résultats des tout derniers calculs – et aussi je craignais son dard.

Par fierté je me suis quand même attaqué à la maison. D’abord j’ai creusé une cave, mais je n’ai pas pu aller loin, parce que la couverture au-dessus de la cave s’est chaque fois écroulée : ou mes poutres étaient trop courtes ou le matériau trop fragile. À la fin c’est un termite qui m’a expliqué que je devais mélanger mon béton avec une sécrétion gluante. Il m’a envoyé une centaine de milliers d’ouvrières qui en quelques jours ont monté un mur passablement élégant, mais peu après, constatant mon incompétence elles m’ont planté là. Une taupe a eu pitié de moi. « Écoutez, à quoi sert de peiner ici, vous ne savez que bêcher, n’insistez pas pour les autres travaux, les castors feront le reste mille fois mieux », dit-elle et en effet, grâce à ses conseils bienveillants j’ai réussi à m’installer un joli domicile souterrain qui me permettait de m’abriter pendant les averses très fréquentes en ces contrées.

Quoi vous racontez encore ?

En six mois mon enthousiasme s’est évaporé.

Par la suite je fus contraint de changer de politique : un renard de mes connaissances me pourvut de bons conseils. Écoutez, dit-il un soir quand, frissonnant, affamé et déprimé, j’étais sur le point de me jeter à la mer, cher Monsieur le Rédacteur, votre programme a fait long feu. Je vous suggère de retourner votre veste. Placez-vous sous la protection de la Forêt, vous verrez que tout s’arrangera. Ne protestez pas, vous devrez vous efforcer à servir les tendances régnantes et ses différents représentants.

- Qu’est-ce que je devrais faire pour cela ? – m’écriai-je dans ma révolte. – Devrai-je me prosterner, grimper, ramper, flatter – moi, l’homme ?

- Oui, comme vous dites. Il faut essayer.

Cet après-midi-là c’est la faim qui l’a emporté. Je me suis allongé sur le sol et me mis à ramper. Un serpent m’aperçut, il me fixa un temps, pis il s’approcha et me tapa l’épaule.

- C’est bien, dit-il, vous êtes débrouillard, ne perdez pas courage. Je peux vous présenter si vous voulez à un ami à moi, le Chat, qui est parent et confident de sa majesté.

Il me présenta. Je me mis aussitôt à ronronner et minauder. Une heure plus tard il m’a câliné et a posé un peu de lait devant moi dans un coquillage, je l’ai vite lapé.

Plus tard je l’ai laissé tomber pour un beau chien-loup qui m’aimait bien. Au début il me promenait à la laisse, il me posa même une muselière, mais plus tard il me permit de courir librement derrière lui. C’est à lui que je suis redevable de mes premiers succès. Il m’emmena à la chasse et moi, bon grimpeur, je lui descendis d’un arbre un cochon d’Inde dont il me lança les cuisses. Ensuite il me promut gardien de sa maison : je pouvais m’allonger devant sa grotte et si quelqu’un s’approchait, je me mettais à réciter fort un de mes anciens poèmes, ce qui le réveillait. Jusqu’au jour où un coq intrigua contre moi, je fus chassé.

Ma fuite fut précédée et rendue possible par un terrible danger. En ce temps-là j’étais au service d’un sanglier énorme et influent. Au cours du quatrième mois à son service il devint anormalement prévenant à mon égard, il ne me laissait plus travailler, il me faisait tout le temps manger. J’ai fini par comprendre qu’il m’engraissait ! Dans l’idée de fuir je me mis en cheville avec un albatros qui depuis longtemps avait envie de me marier à une de ses parentes, une riche dinde minaudière, réglant par là même mon grave problème par cette « assimilation ». Je fis semblant de me soumettre à son plan et j’obtins qu’il me prenne sur son dos et qu’il vole avec moi sur l’île voisine où habitait sa parente.

En cours de route j’aperçus sous nos pieds une barque de pêcheurs. D’un saut téméraire je me lançai dans la mer et je fus sauvé par les pêcheurs. Je ne leur ai pas raconté mon histoire. Nous devînmes amis, ils m’emmenèrent à Ceylan où était justement ancré le steamer dont le capitaine m’a ramené en Europe.

 

Színházi Élet, n°17

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