Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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LA NAISSANCE DES BLAGUES

 

Nous avons interrogé un humoriste célèbre et populaire en qualité d’expert, pour qu’il nous dise comment naît une blague. Il médita, fit une moue dubitative, puis dit :

- Je n’en ai pas la moindre idée, Messieurs !... Je connais seulement la nature des blagues, leurs variantes, leur effet, mais je n’ai jamais réussi à identifier l’homme qui a créé le bon mot, l’histoire. Tout comme l’anguille : on ne sait toujours pas en quel endroit de la mer elle vient au monde, pourtant les savants naturalistes ont décrit en détail ses caractéristiques. Il en est de même pour la blague. Une fois qu’une blague est née, nous avons les moyens de contrôler la vitesse de sa diffusion – une vitesse vertigineuse, plus rapide que les ondes radio. Un psychanalyste a constaté que la nouvelle d’une bataille victorieuse ne se diffuse pas aussi vite qu’une blague bien réussie. Moi-même j’ai expérimenté qu’une blague que j’ai dite à Pest un matin, m’est revenue le soir-même de Vienne par téléphone, dans la variante que j’avais formulée moi-même, donc il ne peut pas y avoir d’erreur. Les personnes successives qui l’ont transmise avaient probablement des choses plus urgentes aussi à se dire, mais priorité à la blague !

Alors comment naît-elle… ?! Regardez-moi, j’ai la réputation d’être un humoriste : - Eh bien, je vous jure que je ne pense pas avoir jamais fabriqué une blague, si l’on entend par blague une certaine petite histoire qui tient debout, qui a un début, un milieu et une chute, et que l’on raconte habituellement après cette question introductive :

- « Tu connais celle-là ?... Schwarz rentre de son bureau et… » etc. J’ignore qui est la personne qui arrange ces histoires. Cela s’arrange peut-être tout seul comme un chant populaire, dont l’auteur est également le plus souvent inconnu, chacun se permet d’y ajouter quelque chose, d’y changer un mot, jusqu’à ce qu’elle revête sa forme définitive. À la base il y a peut-être une remarque lancée en l’air, une observation, un mot bizarrement prononcé, selon la nature de la blague – plus rarement, beaucoup plus rarement qu’on le penserait – un cas effectivement produit. Si je sais cela, c’est parce qu’il m’est aussi déjà arrivé que j’aie cru reconnaître dans les grandes lignes un de mes bons mots personnels, élaboré et transformé en une histoire, en des anecdotes devenues brusquement populaires, mais sans que je puisse affirmer avec certitude que j’étais moi-même la source de l’histoire.

 

Az Est Harmaskönyve, 1927, p.7.

 

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