Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
e journal
français Opinion écrit que le rouleau
à vapeur russe est une machine hacher la viande qui hachera les Allemands.
Qui se souvient de cette
structure en fil de fer qu’en temps de paix on vendait au coin de la rue et
dont on pouvait se servir pour une dizaine de choses différentes. On la
tournait vers l’extérieur : c’était un goupillon, vers l’intérieur :
c’était un panier, vers le haut : ça battait les œufs en neige, on la
fermait : un portemanteau, on l’ouvrait : une cage à oiseaux, on
l’étirait : un marteau à cymbalum, on la comprimait : un porte-savon.
Je m’étais souvent cassé la tête,
quel nom à donner à cette machine ? Aujourd’hui je sais : cette
machine s’appelle l’armée russe.
Et c’est le secret des victoires
inouïes des Russes et c’est le secret du vieil adage selon lequel on peut
battre les Russes, mais les vaincre, jamais. Nous avons inventé le Zeppelin, le
canon de quarante-deux, mais que sont des inventions par rapport au brevet
russe englobant toute l’armée en un unique mécanisme ?
Veuillez entrer, veuillez entrer,
ici on peut voir la plus merveilleuse invention du monde : l’armée russe.
Brevet russe, brev. français,
brev anglais, brev. italien. Le public est prié de veiller à la propreté des
lieux. Entrée : dix fillérs.
Ce brevet n’a pas son pareil. Si
je pose l’instrument par terre et je le mets en marche : c’est un rouleau
à vapeur. Il écrase le monde, il écrase les montagnes, il incrase
en Hongrie, il excrase à Berlin, de vous, Monsieur,
il ne fera qu’une crêpe.
Mais ne craignez rien : vous
le poussez un peu sur le côté d’une chiquenaude, comme ça, vous voyez, ça
devient un hachoir la viande. Il hache les Allemands, il en fait des boulettes,
il n’y a qu’à y rentrer l’Allemand, déjà sortent en bas les bons biftecks à la
salade. À condition bien sûr que l’Allemand veuille bien sauter dedans.
Parce que s’il ne saute pas
dedans, mais il presse un bouton, vous voyez, ici, plus haut, près du Dniestr,
alors ce n’est plus un hachoir à viande, mais un filtre à thé. Il filtre
l’Allemand en un clin d’œil, il le fait bouillir, il ajoute deux morceaux de
sucre, il le remue et le verse dans une tasse.
Maintenant si vous percez le
filtre à thé, alors ça devient une longue-vue. Il scrute l’Allemand, lui sonde
les reins, le frappe d’un regard.
En outre, on y voit l’épée
miraculeuse. Si on en casse le bout, ça devient une canne qui dans sa partie
plus chanceuse contient du plomb. Si on fait fondre le plomb contenu, ça
devient un original british vacuum cleaner[1].
Il aspire la poudre que Grey a jetée aux yeux des neutres.
En outre, on y voit Jean Furibond
dont les yeux sont injectés de sang et qui dit « Mouh !
Mouh ! » Joie de nos petites têtes blondes.
Son nez est en chocolat.
En outre, on y voit Auguste Quivacommesilvenait. Sa figure vers l’avant, ses pieds vers
l’arrière.
En outre, on y voit les Montagnes
Russes. D’un côté on grimpe au sommet, puis on prend un élan et vite on en
redescend.
En outre, on y voit le Château
Enchanté ou le Sorcier Przemysl[2],
donnez-vous la peine d’entrer. Quand on y pénètre, c’est une forteresse tout ce
qu’il y a de sérieux. Un des principaux châteaux forts de l’Europe avec des ouvrages de défense
imprenables, un carrefour décisif. Quand on en sort, c’est un petit machin,
comment on dit déjà, un petit village, un hameau ou même pas, un lieu-dit où
quelqu’un a oublié par hasard un jour son arquebuse et depuis ces Souabes
prétentieux l’appellent forteresse ou quelque chose comme ça.
En outre, on y voit la Flottelejour Soumarinlanuit. Une
attraction anglaise originale. Au même endroit, la Bannière à Deux Têtes :
neutre de face, drapeau national britannique par-derrière.
En outre, on y voit l’Italie ou
le Monde à l’Envers. Si le visiteur entre dans la pièce et s’assoit, le mur
commence à tourner autour de lui et il croit que c’est lui qui tourne. C’est
tantôt le plafond qui est en bas, tantôt le plancher.
En outre, on y voit Ententelejour Déclarationdeguerrelanuit.
Également un brevet italien.
Entrez, entrez, Messieurs,
Mesdames !
Az Újság, le 15 juin
1915.