Frigyes Karinthy : Recueil "Ô, aimable lecteur" (temps héroïques)

 

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l’Italie dÉclare la guerre

« Lamitié et la chaleur incontestables qui ces derniers temps caractérisaient les relations entre les deux gouvernements, ont dernièrement été troublées par des malentendus dont il faut chercher la cause dans le manque de confiance de la part du gouvernement turc, ainsi que dans l’attitude méfiante avec laquelle la Turquie a accueilli nos offres prévenantes et pacifiques et notre volonté de rapprochement.

Nous avons toujours voulu la paix et nous avons tout fait pour convaincre la Turquie de la nature pacifique de nos intentions. Depuis deux mois notre gouvernement n’épargne aucun effort pour persuader la Turquie de notre volonté de paix. Nous avons envoyé des émissaires par centaines et par milliers dans les Dardanelles afin qu’ils rassurent la Turquie sur la paix, nous étions d’ailleurs disposés à y envoyer quelques centaines de milliers d’émissaires supplémentaires, mais la Turquie a fait preuve de mauvaise foi et par pure malveillance a mal interprété nos nobles intentions.

À notre dernier ultimatum dans lequel nous avons évoqué l’attitude vexatoire des officiers turcs qui ont refusé de s’abonner au recueil d’épithètes de D’Annunzio bien que, comme preuve de nos sentiments amicaux, nous leur eussions même proposé les frais de port, la Turquie a répondu que les officiers turcs ne lisent pas l’italien. Ceci est manifestement une allusion malveillante à ce que D’Annunzio n’est pas compris non plus par les italophones.

Dans notre deuxième ultimatum nous nous sommes référés au paragraphe huit du traité donnant expression à notre conviction qu’au cas où, en conformité avec l’esprit de la Conférences de La Haye, il n’y a pas d’appel possible contre la nature supposée des changements intervenus, considérant la situation pouvant se prêter à des périphrases et circonlocutions, sous l’effet exercé par une situation nouvelle sur la base de rapports existants entre une ou deux circonstances, éventuellement plus ; alors et en tout cas, la Turquie a donné la réponse obscure, rusée et propre à servir de prétexte à des malentendus diplomatiques, réponse que voici : « Am stram gram, pique et pique et colégram ». Ce qui est manifestement une allusion désobligeante à l’épopée homonyme de D’Annunzio que nous avions jointe en son temps au document accompagnant le transport de harengs fumés.

À notre troisième ultimatum dans lequel nous ne réclamions à la Turquie que trois départements de Transylvanie et quelques îlots insignifiants sur l’océan Himalaya, ainsi que trois forteresses de la Suède situés à la frontière chinoise, plus un immeuble à l’angle de l’Avenue Andrássy et du Boulevard Ferenc – tout en nous engageant à leur céder la partie sud-ouest de la Patagonie, trois îles des Canaries et la quantité d’eau des chutes du Niagara qui tombe de neuf heures à onze heures du matin – à cet ultimatum donc, le gouvernement turc a donné une réponse non moins dilatoire et d’ailleurs peu satisfaisante, en invoquant notre situation militaire dans le Karst, ce qui paraît être une allusion sarcastique et désobligeante, une allusion à la tête de D’Annunzio suggérant un parallèle entre la nudité du Karst et la calvitie de la susdite tête.

Après tout cela, il ne nous restait plus qu’à réitérer, dans un quatrième ultimatum, nos conditions précédentes, mais cette fois catégoriquement et clairement : 1 – La Turquie est-elle prête oui ou non à donner une réponse positive à nos exigences ? 2 – La Turquie accepte-t-elle de considérer, au cas où cela est possible, à supposer que cela ne soit pas possible, si elle veut bien envisager de penser à faire un objet de réflexion de ce qu’elle refuse absolument, oui ou non, et si oui, pourquoi non ? Observons que dans sa réponse, les mots « noir, blanc, oui, non » sont prohibés.

Il est vrai que la Turquie a répondu favorablement à ces questions mais, vu qu’il est évident que les questions étaient manifestement de débiles imbécillités, elle n’a pas pu les comprendre : la réponse a donc été une allusion de mauvaise foi au fait que les questions n’avaient pas de sens. En conséquence nous sommes contraints de rompre les relations diplomatiques entre l’Italie et la Turquie, à titre de mesure de rétorsion contre les viles expressions humiliantes et offensantes qu’en cours de négociation elle devait penser sur notre compte à part soi, mais au moins sans les avoir proférer. »

 

Suite du recueil