Frigyes Karinthy : Recueil "Ô, aimable lecteur" (caricatures)

 

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comme qui dirait

Père Pali et Père Pista sont gentiment assis sur une fesse à l’extrémité du banc de la maison et fument leur pipe. De quoi peuvent-ils bien parler ? Il ne serait pas inutile de collecter quelques observations authentiques pour mon grand roman social en préparation. Approchons-nous discrètement.

 

Père Pali : Ça, ça se peut bien. Je ne dis pas que ça ne se peut pas.

Père Pista : Car, comme qui dirait, c’est comme ça.

Père Pali : Pour sûr, comme qui dirait, ce n’est pas que ça ne se peut pas. Je ne suis pas celui qui dirait que non, quand c’est oui. Car on ne peut jamais être sûr de rien ?

Père Pista : Ça, on ne peut pas. C’est bien vrai.

Père Pali : Car celui qui vient me dire que, comme qui dirait, c’est comme si, ou c’est comme ça, il perdrait son temps. Moi, je sais ce que je sais.

Père Pista : Pour sûr, ce qu’on sait, on le sait.

Père Pali : Eh ! J’espère bien. Il y en a qui disent des choses sans même savoir, comme qui dirait, à quoi ça sert. Que personne ne vienne me dire que, comme qui dirait, ceci, cela et cela encore – car moi, je suis un homme droit, ce que j’ai sur le cœur, je l’ai sur la langue, personne ne peut me dire que, comme qui dirait, je ne dis pas tout de go ceci et cela.

Père Pista : Pour sûr que non.

Père Pali : Pour sûr. Sûr que non.

Père Pista : Je me comprends.

Père Pali : Eh !

Père Pista : Pas vrai, peut-être ?

Père Pali : Et comment, que c’est à peu près ça.

Père Pista : Mais, c’est comme ça, non seulement à peu près, c’est comme ça tout à fait sûrement. Que personne ne vienne me dire que comme qui dirait, tiens, tiens. Parce qu’au commencement, tout le monde a tendance à s’imaginer que – eh !! Cette fois ce sera comme ci ou comme ça, quoi – et puis il finira par piger que ce n’est ni comme ci, ni comme ça, et pourtant ça doit aller parce que c’est obligé. Parce qu’on peut bien penser qu’on finirait par trouver une autre manière – et puis à la fin tout sera exactement comme c’était obligé que ce soit. Car ça n’est jamais encore arrivé que ça ne soit ni comme ci ni comme ça.

Père Pali : Ça, c’est dire la vraie vérité. Eh oui, on peut dire que c’est bien vu.

Père Pista : Eh !

Père Pali : Vous êtes bien placé pour le savoir.

Père Pista : Évidemment, je le suis

Père Pali : Comment ne le sauriez-vous pas ?

Père Pista : Je sais aussi d’autre part que si une chose veut se passer comme elle se passe, alors elle ne se passera sûrement pas autrement. Et puis aussi, toute chose a son début, et elle a aussi sa fin – c’est vrai ou ce n’est pas vrai ?

Père Pali : Et comment que c’est vrai !

Père Pista : Eh bien, voyez-vous ! On ne peut pas dire que Père Pista serait un imbécile. Il faut ajouter d’autre part, comme qui dirait, que celui qui remarque une chose peut aussi la croire. Car il existe beaucoup de choses de ce genre, et il existe aussi beaucoup de choses d’un genre différent, mais ce qui est sûrement toujours pareil, c’est que si une chose est là quelque part, elle aurait du mal à se trouver ailleurs.

Père Pali : Eh, Père Pista, vous êtes quand même un homme intelligent, ça se voit.

Père Pista : J’espère bien. Celui qui dirait autre chose n’est pas un homme droit. Pourtant il y en a.

Père Pali : Et comment qu’il y en a. Le monde est grand, il y a dedans toutes sortes de choses !

Père Pista : C’est la sagesse même.

Père Pali : Pas d’erreur possible.

Père Pista : Eh !

Père Pali : Vous voyez.

 

Sur ce point ils ont interrompu leur conversation, apparemment ils se sont dit toutes leurs remarques les plus importantes concernant l’affaire. Étant donné que j’ai un peu mal à la tête, je laisse à l’honorable lecteur la tâche de découvrir de quoi ont discuté Père Pali et Père Pista. Un tome de l’ouvrage "La force expressive concrète de la langue hongroise" du professeur Szilárd Tömb va être offert à l’heureux gagnant d’un tirage au sort parmi les bonnes réponses.

 

Suite du recueil