Frigyes Karinthy : Drames à l’huile et au vinaigre

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Docteur coco

ou

UN COTILLON RESTE UN COTILLON

 

Découverte métapsychique en trois parties

 

Licence de théâtre hongrois.

 Allemand : gratuite. Français : gratuite. Anglais : gratuite. Hongrois, pourquoi pas gratuite ?

Le prix des places doit être réglé à l’avance.

L’usage des épithètes approbatrices est libre de droits.

 

M. KOVÁCS (propriétaire terrien) : Que pensez-vous, Monsieur Mayer, que se passerait-il si on faisait un essai en charge du Pont aux Chaînes avec des belles-mères budapestoises ?

M. MAYER (forestier) : Eh bien, deux possibilités. Ou il ne tomberait pas, ou il tomberait. S’il ne tombait pas, ce serait bien.

M. KOVÁCS : Et s’il tombait ?

M. MAYER : Ce serait encore mieux.

 

(Pause, pour permettre au public de rire tout son soûl.)

 

M. KOVÁCS : Vous savez, si je vous ai posé cette question c’est parce que j’ai une petite minette, Uschka Pruschka, avec qui j’aimerais rompre. Qu’en pensez-vous, ça lui ferait plaisir ?

M. MAYER : Où gît la minette là-dedans ?

 

(Pause pour laisser rire.)

 

USCHKA PRUSCHKA (entre d’un pas aérien) : Oh, méchant homme ! Oh mes nerfs ! Oh mes nerfs !

M. KOVÁCS : Dis-moi, Pruschka, est-ce un amour sincère qui t’attache à moi ?

USCHKA PRUSCHKA : Moi ? Ha, ha, ha ! Certainement ! Sûrement pas ! Ha, ha, ha ! Méchant homme ! D’amour sincère… !

M. KOVÁCS : Et jusqu’à quand ?

USCHKA PRUSCHKA : Tant que tu auras de l’argent. (Ce mot de trop lui a échappé.)

 

(Pause pour laisser rire.)

 

M. KOVÁCS : Mais alors, ce n’est pas moi que tu aimes, mais un sac d’argent !

 

(Pause pour laisser rire.)

 

USCHKA PRUSCHKA (pousse un cri) : C’est ce que tu m’as promis ?

M. KOVÁCS : Moi si je promets quelque chose, je le tiens. Si je promets de l’argent, je le tiens bien – je le retiens pour moi.

 

(Pause pour laisser rire.)

 

USCHKA PRUSCHKA : Qu’on me retienne, sinon je fais un malheur ! (Elle tombe dans les pommes, mais pas pour de vrai – seulement pour de faux.)

M. KOVÁCS (en aparté) : Elle fait semblant de tomber dans les pommes – mais je suis plus rusé, moi ! (À voix haute.) Un médecin ! Un médecin !

USCHKA PRUSCHKA (gémit) : Aïe… aïe !

M. KOVÁCS (en aparté) : Oui… Le poisson va mordre !

Dr COCO COQUINE (porte de grosses lunettes, un clystère, des dictionnaires sous le bras) : Que s’est-il passé ici ? Du calme, on va ausculter la malade.

M. KOVÁCS (en aparté) : Elle porte des lunettes, mais sous les lunettes elle a du mal à cacher son regard ardent ! (À haute voix.) La dame s’est évanouie.

Dr COCO COQUINE : On fera bien quelque chose. Il n’est jamais arrivé qu’il n’arrive rien.

 

(Pause pour laisser rire.)

 

KREUZMUTTER DONNERWETTER (Marraine Orage, en glapissant) : Oh, petite impertinente ! O du liebe Zeit! Qu’as-tu encore mangé ? Vous avez versé de la confiture Max und Moritz dans la perruque du grand-père !

TONTON HURLUBERLU : Où sont passées mes lunettes ? (Elles sont sur son nez.)

PRUSCHKA : Moi je n’ai rien à faire ici.

M. MAYER : Excusez-moi, j’ai oublié mon parapluie.

PRUSCHKA : Monsieur, excusez-moi, mais vous m’êtes tellement inconnu !

M. MAYER (en aparté) : Elle commence bien. (À haute voix.) Que puis-je pour vous ?

PRUSCHKA : Peut-être plutôt moi… Nous sommes si distraits tous les deux, nous aurions besoin d’un officier.

M. MAYER : D’un officier ?

PRUSCHKA : D’un officier d’état civil !

M. MAYER (en aparté) : Me voici tombé – dans mon propre piège. (À haute voix.) Je veux bien, soyez ma femme ! J’ai bonne mine, maintenant !

 

(Mayer et Pruschka partent.)

 

Dr COCO COQUINE : Alors moi je n’ai plus rien à faire ici. Tout est bien qui finit bien. (Elle part.)

M. KOVÁCS (sérieux) : Restez, il y a un autre malade dans la maison.

Dr COCO COQUINE : Qui est-ce ?

M. KOVÁCS (en aparté) : Soyons rusés ! (À haute voix.) C’est moi.

Dr COCO COQUINE (sévèrement) : De quoi souffrez-vous ?

M. KOVÁCS (en gémissant) : J’ai mal...

Dr COCO COQUINE : Mal où ?

M. KOVÁCS (en aparté) : Je suis aussi rusé que toi ! (À haute voix.) Je ne saurais pas vous dire, Mademoiselle doctoresse, comment c’est possible, mais depuis que vous êtes entrée ici un mal a envahi… mon cœur !

Dr COCO COQUINE (en aparté) : Il n’a pas froid aux yeux, ce pékin ! (À haute voix.) Je mets mes lunettes et je vous ausculte.

M. KOVÁCS : Les lunettes ne serviront pas à grand-chose, je crois. Il faudrait des rayons X. Il y a eu blessure.

Dr COCO COQUINE : Qui vous a blessé ?

M. KOVÁCS (en aparté) : Maintenant ou jamais ! (À haute voix.) Un enfant avec une flèche.

Dr COCO COQUINE : Mais aujourd’hui, on n’utilise plus cette arme.

M. KOVÁCS (en aparté) : Cet enfant utilise toujours ses flèches. (À haute voix.) Il s’appelle Amor.

Dr COCO COQUINE : Ce n’est pas mon affaire. Je ne connais que l’amitié avec des hommes. Vous croyez peut-être qu’une amitié sincère ne peut pas exister entre un homme et une femme ?

M. KOVÁCS : Si, à une condition.

Dr COCO COQUINE : Laquelle ?

M. KOVÁCS : S’ils ont tous les deux soixante-dix ans.

Dr COCO COQUINE (en aparté) : Il a raison. Mon cœur aussi commence à s’adoucir, mais ce serait trop tôt de me montrer.

M. KOVÁCS : Je connais le remède.

Dr COCO COQUINE : Quel est-il ?

M. KOVÁCS (l’embrasse) : Celui-ci.

Dr COCO COQUINE : Bon, d’accord, je veux bien.

M. KOVÁCS (victorieux) : Une jupe reste une jupe !

Dr COCO COQUINE : Oh du lieber Augustin ![1]

 

Rideau

 

 Suite du recueil

 



[1] Oh toi cher Augustin est une chanson viennoise composée par Marx Augustin en 1679.

À cette époque, Vienne était frappée par la peste bubonique et Augustin était un chanteur de ballades et un joueur de cornemuse qui parcourait Vienne pour divertir sa population. Les Viennois appréciaient Augustin pour son humour dans ce moment difficile, le surnommant "cher Augustin". Mais un jour, rentrant chez lui alors qu'il était ivre, il tomba dans le caniveau et s'endormit. Il fut pris pour un mort par les fossoyeurs qui patrouillaient, et il fut mis dans une fosse commune en même temps que son instrument, qu'on croyait infesté. Et quand il se réveilla, Augustin fut incapable de s'extraire de cette fosse commune. Il se mit à jouer de la cornemuse, car il voulait mourir de la même façon qu'il avait vécu. Les Viennois, qui l'entendirent, le sauvèrent et Augustin ne fut pas infecté. Il devint un symbole d'espoir pour les Viennois.