Frigyes Karinthy : "Souvenirs de Budapest"
Chambre au mois
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Bonjour Madame.
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Bonjour.
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S’il vous plaît, c’est ici qu’il y a cette chambre
à louer, sur rue avec entrée séparée ?
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Oui. C’est par ici.
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Par ici… oui – mais excusez… mais n’est-ce pas une
cuisine ?
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Bien sûr, c’est une cuisine. Il ne s’agit pas de ça,
c’est à côté.
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Oui, mais… excusez-moi – j’ai lu en bas "entrée
séparée".
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Et ce n’est pas une entrée séparée ?
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En passant par la cuisine ?
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Comment ça, par la cuisine ? Une entrée
séparée est une entrée séparée. La
pièce a une porte séparée pour qu’on y entre. Par
cette porte on peut entrer séparément. Une porte
séparée particulière, servant particulièrement
à pénétrer dans cette pièce particulière.
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Oui, oui, bien sûr… Évidemment c’est un grand avantage
de disposer à cette fin d’une porte séparée. Parce
que, n’est-ce pas, il existe des quantités d’autres lieux
où les portes sont utilisées à toutes sortes
d’autres fins, mettons à frotter le linge avec, à
s’essuyer dedans, ou à prendre son déjeuner dessus,
n’est-ce pas ?
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Eh oui, que voulez-vous, de nos jours, quand tout est si cher.
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Et voyez-vous, chère Madame, combien de chambres totalement
dépourvues de porte peuvent exister ! Ô combien !
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Eh oui, que voulez-vous, tout est si cher.
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Prenons par exemple le prix des cercueils.
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Seriez-vous journaliste ?
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Pourquoi donc ? – me trouveriez-vous trop spirituel ?
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Non, pas du tout, mais c’est parce que je ne louerai pas ma chambre
à un musicien, pas question.
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Mais je n’ai pas encore vu
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Je vous en prie… Elles sont là-haut, toutes les deux…
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Excusez… Je ne vois pas… Je n’ai pas une très bonne
vue…
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Là-haut.
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Ah oui, je vois. Mais dans ce cas où se trouve l’orifice du tuyau
de poêle car j’ai cru…
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Pas besoin de poêle, voyez-vous, dans cette chambre. Il fait tellement
chaud ici tout l’hiver, voyez-vous, à côté de la
cuisine, autant que vous voulez. Voyez-vous, tout est si cher…
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Oui, oui. Mais, excusez-moi, vous êtes sûre que ces deux…
hum, fenêtres… donnent sur la rue ?
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Puisque c’est moi qui vous le dis. Vous pouvez être rassuré.
Monsieur n’est pas des assurances sur la vie au moins ?
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Pourquoi ?
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Parce que j’ai déjà eu ici une fois un locataire des
assurances sur la vie, je ne louerai plus la chambre à un autre comme
ça.
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Ne vous inquiétez pas. Je n’en suis pas. Alors… comment, la
chambre aurait-elle une double porte ? C’est une deuxième
porte, ça ?
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Non, Monsieur, c’est le mur.
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Vous voulez dire, le mur d’en face ?
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Oui. Monsieur ne reçoit pas de femmes au moins ? Parce que chez moi
ce n’est pas permis…
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Oh, ne vous inquiétez pas… J’ai bien une fiancée,
mais vu la situation, je vais naturellement rompre mes fiançailles.
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C’est ça, voyez-vous, parce que chez moi ce n’est pas
permis. Ça, c’est le lit. Un beau lit de cuivre.
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Cela m’est égal. De toute façon on ne le voit pas. Pourvu
qu’on puisse se coucher dedans.
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On peut. Quand rentrez-vous d’habitude ?
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Pourquoi ?
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Parce que chez moi on ne peut pas rentrer après dix heures, nous nous
couchons à neuf heures et je n’irai pas ouvrir la porte pour les
beaux yeux de quelqu’un, même pour les beaux yeux du pape, une fois
que je dors, car voyez-vous, il y a des sales types qui rentrent après
dix heures du soir et se jettent tout habillés
sur mon lit, les cochons, c’est pourquoi je vous dis, voyez-vous, que
chez moi ce n’est pas permis.
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Naturellement… je vous en prie… Y a-t-il une armoire ?
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Monsieur a-t-il ses parents ?
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Oui ils sont vivants… Mais si ce n’est pas permis, je peux
éventuellement les assassiner… Y a-t-il une armoire ?
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Monsieur n’est pas malade ?
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J’apporterai un certificat de bonne santé… Y a-t-il une
armoire ?
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Alors, dites-moi si vous la louez ou pas ?
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Combien vous demandez ?
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Écoutez, pas combien vous demandez, mais vous la louez ou pas ?
Écoutez, je ne suis pas ici pour ça.
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Oui… d’accord… tout de suite… je cours chercher mon
argent… je l’ai déposé devant la porte… il
m’attend en bas… je suis de retour dans une minute…
- Allez chercher
quatre-vingts couronnes. Et dépêchez-vous car chaque minute, moi
j’en trouve par centaines des locataires.