Frigyes
Karinthy : Eurêka
paix
Ça,
c’est déjà la paix – la paix vraie de vraie, paix du
temps de paix, du temps
Qu’en
pensez-vous ?
Qu’en
pensez-vous, quel est le signe, quelle est la nouvelle, le spectacle, qui me
fait dire : ça y est, cette fois c’est la bonne, nous pouvons
affirmer sérieusement que c’est la paix.
Devinez !
Est-ce
l’épaisseur des journaux à Pâque, à la
Pentecôte ? Ce n’est pas bête. C’est effectivement
un signe de paix, mais pas de la vraie paix – c’est un autre son de
cloche !
Des
achats à crédit – on peut désormais tout acheter
à tempérament, des habits, un vélo, une auto, une maison,
des chaussures, un appartement, des livres, des meubles, des sujets de
théâtre, des idées de film, une femme – de
l’argent le premier du mois, pour rembourser les mensualités. Ah
oui ! En effet, c’est déjà un signe, c’est
déjà très proche – mais toujours pas la vraie.
Panne
de courant – misère téléphonique. Ah !
Ah ! Continuez !
On
construit un nouvel immeuble sur l’avenue Miklós Horthy !
Bravo ! Presque ! Vous approchez !
Des
machines d’arrosage abattent un nuage de poussière dans la
rue : c’est tiède !
Ah,
là-bas ! Quelqu’un a eu une excellente idée… Ce
matin l’eau a jailli dans la fontaine de
Une
calèche ralentit, le cocher me salue : « Je vous
souhaite le bonjour, Monsieur ! Vous désirez
monter ? »
Le
Bureau de placement pour bonnes est envahi de candidates – bravo,
continuez !
Des
affiches "chiens interdits" – ah ! ah !
On
ne récite plus des chants patriotiques – un signe négatif
mais bien caractéristique ! Ce n’est toujours pas la vraie
réponse.
Vous
ne devinez pas ?
Je
vais vous aider.
Feuilletez
vos journaux… c’est dedans…
L’affaire
des francs ?[1]
Ah non ! Des suicides ? Pas vraiment. Les théâtres
tournent à vide ? Vous n’y êtes toujours pas.
Je
vais vous le dire, ne vous cassez plus la tête.
Pendant
vos recherches, vous avez sauté la
première page. Pourtant
ça se trouve là, au verso – le signe de la paix totale,
parfaite, à cent pour cent…
Les états signent des
contrats militaires !
L’Europe se prépare
à la guerre !
Nous
y voilà – l’ambiance de paix complète et sans
réserve !
[1] Scandale de fabrication de faux billets de mille francs impliquant la société politique hongroise en 1926