Frigyes Karinthy :  "Ne nous fâchons pas" 

 

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j’Éduque mon fils

 

Pistike, tiens-toi tranquille, laisse-moi lire, assieds-toi sur ce petit banc sous l’abricotier, feuillette ton livre d’images, tiens, il y a aussi un illustré avec toutes sortes d’images intéressantes sur le grand monde.

- S’il y a quelque chose que tu ne comprends pas, tu peux poser des questions, mais un garçon de quatre ans doit comprendre tout seul pas mal de choses.

- Non, pas celui-ci, je ne te le donne pas, d’ailleurs il n’y a pas d’images dedans, et c’est moi qui le lis, tu comprends ? Ici c’est une lettre d’Oncle Lajos, te souviens-tu d’Oncle Lajos ?

- Mais oui, Oncle Lajos qui portait un si joli plumet sur sa casquette, tu ne te rappelles pas ?

- Maintenant Oncle Lajos ne peut pas rentrer à la maison parce qu’il est à la guerre et il combat l’ennemi. Justement, là il m’écrit qu’il vient de passer un mois à l’hôpital.

- Un mois, c’est trente jours, et c’est parce que, mon cher enfant, il a été blessé. Oui, l’ennemi a lancé une grosse grenade vers le pauvre Oncle Lajos et elle a explosé, comme ça : br......br.......broum ! Et alors la ferraille est rentrée dans le dos d’Oncle Lajos et elle lui a déchiré le dos.

- Mais non, petit bêta, ce n’est pas parce qu’Oncle Lajos avait peur de l’ennemi ! Au contraire, il était plutôt très courageux et il a voulu attaquer l’ennemi.

- S’il a bien battu l’ennemi ? Oui, je pense, assurément, il a dû bien le battre, c’est pourquoi l’ennemi était fâché contre lui.

- Mais oui, Oncle Lajos est un bon soldat, on l’a félicité – que dis-tu ? Oui, il en a reçu, il a reçu une belle pièce d’or sur la poitrine parce qu’il a bien battu l’ennemi.

- Avec quoi ? Oui, bien sûr, avec un fusil, et aussi avec une épée et une baïonnette... mais oui... avec un canon ? Ben, avec un canon aussi... et avec un revolver... bien sûr...

- S’il a coupé la tête à l’ennemi ? Ça, je ne sais pas, mon enfant... si tu veux, disons oui, il l’a coupée... à combien il a coupé la tête ?... Je ne sais pas... à dix ? Oui, à dix peut-être... mais laisse-moi lire tranquillement...

- D’accord, d’accord, tu veux aussi être soldat... bien sûr tu pourras être soldat si tu es sage... On verra ça quand tu seras grand... laisse-moi lire, maintenant, regarde les images de ton illustré...

- Celui-ci ?... C’est un canon, c’est un grand canon maritime, mon enfant... oui, oui, ça sert à tirer sur l’ennemi... c’est pourquoi il est si long, mon enfant, pour que l’obus porte assez loin quand l’ennemi est loin, pour bien l’attraper... Pourquoi doit-il attraper l’ennemi ? Eh bien, pour lui tirer dessus...

- Ces hommes-là ? Ce sont des soldats, des soldats hongrois en train d’assiéger l’ennemi... Ce qu’ils ont dans la main ? Ce sont des baïonnettes, mon enfant... À quoi elles servent ? À poignarder l’ennemi...

- Oui, bien sûr que ce sera permis, quand tu seras soldat...

- Ces autres-là ? Ce sont aussi des soldats, mais pas des soldats hongrois... Ils sont français, ils sont l’ennemi, tu comprends ?... Eux aussi ils courent... Ce qu’ils ont à la main ? Ce sont des grenades, mon enfant... ça, on le lance quand l’ennemi est déjà suffisamment près... alors elle explose et elle fait boum ! Et tout le monde saute en l’air...

- Ça ?... C’est une torpille, ça perce le bateau, et alors il explose...

- Ces pauvres-là, ce sont des soldats blessés... tu vois, on les transporte dans le train... puis les gentils docteurs vont les guérir...

- Ceci ? C’est une sorte de masque, ça sert à empêcher que le gaz que souffle l’ennemi ne rentre dans la bouche des soldats parce qu’ils en mourraient...

- Ça ?... C’est une sorte de canon qui arrache le masque pour que le gaz rentre quand même...

- C’est vrai, oui, ce pauvre n’a plus de jambes... elles ont été emportées par un obus... c’est un brave soldat...

- Ceux-ci sont des artilleurs... et ça, c’est un grand canon terrestre... tu vois, ces braves et vaillants soldats sont en train de tirer... non, ils n’ont pas peur, pourtant ça va faire un très grand boum !!!...

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- Qu’est-ce que tu fais ? Tu veux laisser ce hanneton tranquille ? Tu crois que ça ne lui fait pas aussi mal qu’à toi si tu lui arraches une patte ?

 

 

Suite du recueil