Frigyes Karinthy : "Vous écrivez comme ça "

 

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FRIEDRICH SCHILLER

 

EXTRAITS DE DON CARLOS

 

Vingt-troisième acte

 

Philippe II, empereur d’alimentation publique, est assis, perdu dans ses pensées, sur un trône de charbon authentique, dont pendent de lourds anneaux de saindoux. Il feuillette un livre.

 

PHILIPPE

La dernière échéance est ainsi révolue,

Pourtant nulle embellie dans l’alimentation,

Faudrait-il donc, alors, des règles plus sévères ?

(Il sonne.) Faites venir ici mon chef inquisiteur.

 

CHEF INQUISITEUR

Oui, Majesté, disposez de moi, Majesté !

 

PHILIPPE

Quel a été l’effet de l’édit du café ?

 

CHEF INQUISITEUR

Le peuple maugrée et aspire à plus de lait,

Il s’en trouve certains, même qui sournoisement

Contournent le mot de ta main droite qui frappe

S’en moquent et passent outre, et bien après trois heures,

L’heure de fermeture, dissimulent du lait

Dans la doublure de leur veste et pendant

Que leur visage affiche une blanche innocence

Commandent du café et y versent le lait,

Laissant craindre le pire au maître de la cave.

La sévérité seule peut contrer ces abus.

Ils doivent être châtiés ! Et le café brûlant

Fais-le à l’entonnoir couler dedans leur gorge,

Un écarteur ouvrant leurs abjectes mâchoires.

 

PHILIPPE

Vous avez bien parlé. Mais vraiment il me semble,

Que je devrais connaître le cœur de mes sujets.

Je souhaite m’entretenir avec l’un des leurs,

Qui ne soit ni domestique ni courtisan,

Qui ne soit pas de l’entourage du château

Ne soit sous contrat avec quiconque ici.

Lentilles, haricots, pierres précieuses aussi

Ne les connaisse que comme consommateurs.

En connais-tu ?

 

CHEF INQUISITEUR (hausse les épaules)

                        Le marquis de Posa peut-être.

 

PHILIPPE

Fais le venir ici, il faut que je l’entende

            (Le chef inquisiteur sort.)

 

POSA

Majesté, tu m’as fait appeler, me voici.

 

PHILIPPE

Je suis d’une humeur sombre, ô Posa mon doux fils,

J’en ai plus qu’assez de ma cour habituelle

Le Comte Fournisseur, le Baron Rapporteur,

Mes conseillers flatteurs aux lèvres mielleuses

Qui m’assurent que mon peuple est heureux, satisfait.

L’homme bizarre que tu es pourrait peut-être

Réciter à ton roi une tout autre musique,

Qui soit plus instructive et bien plus distrayante.

 

POSA

Majesté, je reviens de pays très lointains,

D’un morne périple où des eaux sauvages creusent

Le mur nu des maisons de cafés tourmentés,

Aux tables de marbre nichent des clients violents

Les yeux ensanglantés, et la cuiller tendue

Ils guettent l’ennemi. Ce n’est pas le velours

D’un fauteuil mon berceau, c’est là que je suis né

Près de la caisse, entre des piles d’assiettes,

Des garçons fougueux, certains jeunes, d’autres vieux.

Où retentit le cri d’airain du proprio

Et les plaintes amères de la dame du vestiaire.

Le langage que l’on parle à la cour, je l’ignore,

Je crains que mes mots blessent vos oreilles, Majesté.

 

PHILIPPE

Parle, je suis attentif à tes paroles sincères.

 

POSA

Puis-je donc exprimer le souhait de mon peuple ?

 

PHILIPPE

Mais oui, parle, ô mon fils ! Tout m’intéresse ici.

 

POSA (sur un ton élevé, noble)

Majesté, rien ne va, ici dans ton royaume.

Notre café nous fixe avec de grands yeux vides,

Il n’y a pas de peau dessus, si on excepte

Notre peau écorchée si tu l’y mets avec,

Et le méchant valet ne me laisse de sucre

Qu’un seul morceau à peine et non accompagné

De brioche ni pain, cette situation

Intolérable hurle au ciel, mais nous avons tout

Supporté comme bêtes, jusqu’à ce règlement

Tombé qui stipule que… 

(Il se refrène.)

                                       Mais ce n’est pas tout…

 

PHILIPPE

Poursuis, poursuis, Vicomte, dis ce que veut le peuple,

De mon peuple fais-toi le fier porte-parole

 

POSA (sur un ton élevé, noble)

Rends son enfant à la mère,

Ermete Novelli[1] à notre Opéra,

Sa silhouette à Nikita,

Fromage et tarte à la tarte au fromage,

Rends-nous la brioche tressée,

Le sou de nickel dans nos porte-monnaie,

Le bon pain frais que l’on souhaite.

Et pour finir, nous te prions

(Il crie.)

De donner des Arabes à l’heureuse Arabie,

De l’avoine au cheval et des pièces au théâtre,

Pression à la bière, journal au rédacteur,

Avoine, haricots, prêtre, soleil, coton,

Ce dont nous étions tous privés depuis deux ans.

(Il hurle.)

Rends-nous la crème sur notre cappuccino !

(Il tombe inanimé.)

 

PHILIPPE

Un sujet bien étrange. Quel sujet ! Hors sujet !

(Le marquis est jeté dehors.)

 

Suite du recueil

 



[1] Ermete Novelli (1851-1919). Acteur italien.