Frigyes Karinthy : "Vous écrivez comme ça "

                                               

 

afficher le texte en hongrois

Pour la reprise du Mauvais garçon de Ede TÓth[1]

 

                                                          

Chère Tante Amália,

J’ai reçu votre gentille lettre dans laquelle j’apprends avec émotion que votre état de santé s’est aggravé, et que votre chère famille s’attend à tout moment à la catastrophe qui devrait nous enlever notre Tante Amália tant aimée. Je n’ai pas besoin de vous dire, chère Tante Amália à quel point je suis affecté, mais il convient d’accepter les décrets du destin. En ce qui concerne votre dernière demande, je vais m’efforcer d’y répondre dans la mesure de mes moyens. Donc vous craignez, Tante Amália de ne plus être éventuellement parmi nous le jour de la présentation du Mauvais Garçon au Théâtre de la Gaîté, à Budapest, pourtant vous aimeriez beaucoup savoir ce qu’écriront les différents journaux sur cette reprise, et vous me priez de vous informer sur ce point, car vous mourriez mieux en paix de cette façon. J’ai fait de mon mieux : j’ai rendu visite aux critiques théâtraux des différents journaux, en les priant de prendre en considération votre demande particulière, de résumer de façon concise, en quelques mots, l’opinion qu’ils formuleront plus tard et de la mettre à ma disposition. J’ai reçu un certain nombre  de réponses, et je vous les transmets, Tante Amália, tout en vous priant de ne les divulguer à personne. En effet, il serait extrêmement fâcheux pour les critiques concernés, qu’apparaisse qu’ils avaient formulé leur opinion à l’avance. Si, Dieu nous en garde, vous… euh… comment dire cela, disparaissiez par malheur avant le jour de la reprise, rien ne vous empêcherait d’emporter ces critiques avec vous dans l’au-delà, parce que les journaux budapestois n’y sont pas distribués, et si non, vous aurez le moyen de comparer le résultat aux hypothèses. Je vous embrasse fort, chère Tante Amália et tâchez en tout cas de ne pas… euh… trépasser d’ici-là.

 

Pesti hÍrlap[2]

 

La reprise de cette pièce a représenté une mission importante pour le Théâtre de la Gaîté. C’est l’intérêt primordial de nos théâtres d’investir tout leur talent dans la tâche de répondre à l’attente qu’exige d’eux le public érudit quand il va au théâtre. Cela vaut tout particulièrement pour les pièces qui depuis longtemps ont manqué sur nos scènes et que l’on remonte maintenant. C’est le cas notamment du Mauvais garçon. Évidemment il existe de nombreuses autres pièces dans cette catégorie, mais aujourd’hui il s’agit du Mauvais garçon, restons-en donc là et ne nous égarons pas dans le domaine des questions qui n’ont rien à voir, comme la hausse tant espérée du traitement de nos fonctionnaires qui ne se fait que trop attendre, pourtant le ministre de l’intérieur devrait savoir…

                                                                                                          Zsolt Por.

 

Virradat

 

De nouveau des chants de sirènes ondoient depuis les tentes syriennes – mais prends garde, Hongrois, c’est de l’air empoisonné qui émane de la gorge mielleuse. Le vassal assermenté de l’imperium mondial rampe avec une ténacité inflexible, cette fois derrière le masque national, vers le haut épanouissement de notre arbre vital floritudinant pourpresang, dans le but de couper nos racines avec ses dents : ce sont des comédiens syriens qui jouent une pièce hongroise au Théâtre de la Gaîté ! Oh mon Dieu mon petit Dieu, petit, tout petit Dieu qui aime son petit Dezső !

                                                                                                          Dezső Szabó.

 

Az ÚjsÁg

 

Il était une fois un village, quelque part dans la Grande Plaine – raconte l’auteur – où vivait gaiement sa vie une certaine Tercsi Bátki. Elle vécut tranquille jusqu’au jour où apparut un gars nommé Pista Le Méchant qui avait tout mauvais, son foie et même ses reins, mais quand même pas aussi mauvais qu’on pouvait l’imaginer de l’extérieur. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, en tout cas pas aussi longtemps que leurs parents qui vivaient dans la région depuis un demi-siècle – oui, il y a cinquante ans le monde était très différent par-là, si différent qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas l’imaginer. Cela me fait penser à une anecdote qui nous vient de ce temps-là : deux Juifs se rencontrent dans le train. L’un dit à l’autre…

(Suite dans notre numéro de demain)

                                                                                              József Keszler.

 

Az Est

 

La scène aménagée avec goût au Théâtre de la Gaîté a été hier soir le terrain de l’harmonie agréable de nuances raffinées. Le souffle passé d’époques odeur de lavande vibra quelques instants devant la ligne de démarcation des rangées de fauteuils dans un recueillement attentif. C’est une équipe sélectionnée avec un goût particulier qui a tenté d’accompagner une ancienne victoire vers une nouvelle gloire, à travers le voile du temps qui fait tout oublier. Des comédiens qui ressentaient la beauté cachée de leur tâche, déployaient leur zèle pour le plus grand plaisir de tous, sous le charme des décennies passées. Je demeure votre ancien et fidèle obligé respectueux.  

                                                                       Andor Cserna.

 

 

Suite du recueil

 



[1] Pièce créée en 1874 ayant connu un immense succès. Tóth Ede (1844-1876).

[2] Pesti Hírlap : Journal de Pest ; Virradat : Aurore (journal d’extrême droite) ; Az Újság : Les Nouvelles ; Az Est : Le Soir. Les signataires sont de vrais journalistes de l’époque.