Frigyes Karinthy : "Vous écrivez comme ça "
Roman russe
(Auteur : Tolstoïgontcharoskovma Gogoliovitch Dostoïevski.
Traduction : Endrevitch Sabov)
Épigraphe : Si vous ne voulez pas bouger
Il
faut souffrir un peu
Il
faut un peu souffrir
Il
faut un peu souffrir.
PremiÈre
partie
n jeune homme longeait la perspective Korski
un matin brûlant, poussiéreux de juillet dans la direction de
l’octroi de …, en bas, sur la rive du fleuve, là où
commencent les bureaux du cinquième gouvernorat.
- Bonjour, petit père, Fieditch Nikomir ! –
lança dans son dos une voix savoureuse.
En entendant son nom Kotka se retourna.
Mais il ne répondit pas tout de suite. Où ai-je
déjà entendu, se demanda-t-il, que les phtisiques se sentent
mieux quelque temps avant leur mort, qu’ils aiment raconter des histoires
drôles ? Se résigneraient-ils à leur sort ?
Cette pensée ne fit que traverser
l’esprit de Kiola un instant, puis il la trouva
ridicule. Eh, je crache dessus, chuchota-t-il avec un sourire pâle et il
y ajouta même un geste de la main, comme s’il voulait apaiser
quelqu’un.
Pendant ce temps l’intervenant le
rattrapa.
- Ah, ah, Petritch
Naboukozma ! Parions que vous ne me reconnaissez
pas. Mais comment pourriez-vous, comment ? Pourtant Porphyrossona
Agassaia a parlé de vous, mon petit pigeon,
elle vous a même invité, ha, ha, ha, mais vous le savez, la bourse
au tabac, mais oui. Au demeurant, Agatchka vous aime
vraiment beaucoup, mais elle est tellement… mais vous la connaissez :
« courapitki aquassa… »,
comme on le dit de nous au gouvernorat Norski. Néanmoins il est officier,
qui plus est d’alimentation ! – ajouta-t-il avec un certain
respect, qu’ils remarquèrent tous les deux. Michkine,
lui, remarqua très bien ce respect et il eut l’impression que Kiekbaliekov Sobakevitch
n’avait pas manqué de remarquer qu’il l’avait remarqué.
- Tu es bien joyeux, se dit-il, et il
s’assombrit.
Mais Tchitchikov
poursuivit le bavardage, sans pour autant détourner le regard de Avgaristovitch Rudolf.
- Eh, bien sûr, vous, prépriotaires, dit-il non sans considération,
vous savez, mon petit pigeon, après tout, moi, ça m’est
égal. Vous n’arrêtez pas de vous casser la tête et
vous mangez de la soupe au chou… Où diable trouvez-vous toutes ces
soupes au chou ! – murmura-t-il. – Mais j’ai à
faire ! À propos, pour
que je n’oublie pas, mais vraiment : croyez-vous aussi qu’au
début de la création les objectifs faisaient un peu
bizarrement… bref, Niekrikotchkov m’a dit
que dans certaines circonstances, mais vous le savez.
- Je sais, dit Oblomov
crûment.
- Ben, moi, à vrai dire, pour ainsi dire[1], j’imagine la chose ainsi :même s’il existe des buts, ou l’infini,
qu’est-ce que j’en sais. Écoutez, les parallèles
finiront tôt ou tard par se rencontrer, pas vrai ? Et comment !
Elles se rencontreront, elles se salueront même ! Mais alors
à quoi bon tout cela, je vous le demande, Retchkirkiletvoloffonovitch
Matia, mon cher petit pigeon ?! Mais maintenant,
je suis vraiment pressé. Au
revoir !
Razoumikhine le suivit du regard. Le cou d’abord,
se dit-il douloureusement. Puis je le fais un peu tourner à droite, avec
la pointe, vers son estomac et calmement, sans hâte, je le découpe
en tranches. Mais je me demande pourquoi je n’aime pas cette idée,
vers la droite, avec la pointe. Pourquoi cela me paraît-il pour le moins
inhabituel ? Je suis apparemment un peu nerveux.
DeuxiÈme partie
Deux jours après cette conversation
il se leva pour rendre visite à Libidinovna.
En bas, sous le porche, on entassait des palissades, un homme strabique,
d’apparence ouvrière, en blouson de cuir, on aurait dit
qu’il était ivre, fredonnait une chanson. Il s’arrêta
pour l’écouter jusqu’à la fin. Le bruit d’une
scène filtrait du voisinage.
- Katia, salope ! –
glapissait une vieille. – Dehors ! Disparais de cette maison !
Un objet vola, il atterrit à
l’extérieur. Une pantoufle. Une voix plaintive d’enfant se
mêla au tumulte.
- Mais Matiouchka,
pour l’amour de Dieu, pensez à votre salut !
Tout à coup le bruit se tut comme un
fil que l’on coupe, ou comme si quelqu’un avait fermé une
porte.
- Oui, la police, sûrement, tu
peux compter dessus – tonna une voix.
Roszkornyifog afficha un sourire penché, pâle, maladif.
Qu’y-a-t-il – il sursauta brusquement – aurais-je
oublié de prévenir Kolmikov que
même Douniotchka… Mais comme je suis
nerveux, ajouta-t-il en rêvant, tout en plongeant rythmiquement le manche
du couteau à découper les choux dans le ventre de la vieille.
C’est comme le borchtch, cela lui traversa l’esprit, mais juste un
instant. Le corps roula en avant. Roszkornyifog le
suivit soupçonneusement du regard. Il fut envahi d’une gratitude
chaude, enfantine. Il se sentait succomber à une transformation qui ne
cesserait jamais. C’est donc ainsi – ajouta-t-il plus tard –
mais je ne suis tout de même pas malade ? Puis il se rassura.
TroisiÈme partie
Au même moment Cinglétov
voyait le rêve suivant. Eux deux, Kiebalklaiov
et lui, étaient enfants ensemble, au cinquième étage
d’un grand immeuble jaune, nichés aux fenêtres dont la vitre
verte était recouverte de moisissure et de chiures de mouches. Tout
à coup Matia se mit à pousser Kiebalklaiov au dehors. Et elle le poussait encore par la
fenêtre et Kiebalklaiov criait qu’il
n’arrivait plus à se tenir – et Matia
le poussait encore et Kotka tirait vers le bas la tête de Kiebalklaiov – et ils le tiraient et
l’étiraient si long qu’il touchait déjà le
deuxième étage, mais il vivait toujours et pleurait
plaintivement, avec des yeux allongés à cinq mètres, et il
suppliait qu’au moins ils ne fassent pas de mal à Semionovna. Et Cinglétov
sentait bien que c’était mal, qu’il ne fallait pas
continuer, mais pourtant il devait continuer de tirer, et Kiebalklaiov
se déchira tout à coup en deux aux hanches, émettant un
son sourd et mat.
Une sueur froide recouvrit son front. Il se
mit à sangloter discrètement, il savait qu’à partir
de ce moment commençait quelque chose de nouveau, tout à fait
différent qui n’avait encore jamais existé. Mais la description
de cette chose nouvelle et différente ne faisait pas partie
de sa vie d’avant, sa vie antérieure était
définitivement close.