Frigyes Karinthy : "Instantanés"

 

 

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oÙ et quand

 

Que je prenne un travail, moi ? – cet homme indépendant faisait orgueilleusement la moue – que je sacrifie ma liberté pour un fixe mensuel qui me garantirait une vie régulière, normale et correcte – ah non ! Ce n’est pas pour moi, ça ! Mon vieux, c’est digne d’un gratte-papier, d’un genre d’homme qui pense en rubriques, dont il faut visser le cerveau pour qu’il fonctionne, ce n’est pas pour une âme changeante, ne supportant aucune barrière, comme moi. Je préfère qu’aucun pengoe ne tinte dans ma poche – je ne supporte pas les gens réguliers, la vie régulière – moi, mon vieux, je dois pouvoir aller là où je veux et quand je veux, quand l’idée m’en vient. Pour ce que j’ai envie de faire. Oui, là où je veux et quand je veux, quand l’idée m’en vient, c’est comme ça. Non pour une rétribution négociée à l’avance, mais pour une somme à laquelle j’estime moi-même la valeur de mon travail. Là où je veux et quand je veux, dans le but et pour le prix, quand, où, pour lesquels j’estime que ça vaut la peine, voyez-vous, c’est ainsi que cela me convient. C’est ainsi et pas autrement, à mon rythme, selon mon goût, pas comme le font ces fous à lier avec leur licou, qui aiment se rendre la vie plus difficile, plutôt que d’aller et venir, chacun selon sa nature. Là est quand, pour la somme et comme je veux, comme mon goût me le dicte. Parce que mon goût à moi n’est pas un gramophone qui répète toujours la même chose comme un perroquet, mon goût est un oiseau libre, il ne supporte ni les chaînes ni les règles, il ne connaît que sa propre loi, tel que Dieu l’a créé. Ou vous me prenez tel que je suis, ou ne me prenez pas du tout ! Je ne veux pas qu’on me prenne autrement – on doit me prendre tel que je suis né. Tel que, au moment, vers, dans le but, pour la somme, comme, quoi, quand et à la façon que je m’offre moi-même. Moi, mon vieux, je ne suis pas un homme de discours, je n’y vais pas par quatre chemins, je ne tourne pas autour du pot, d’accord, je suis un peu fantaisiste, mais au moins je ne risque pas de devenir cinglé dans le train-train quotidien d’un quelconque métier terre à terre. Voilà comment je vis ma vie libre, chouette alors – dans le mode, telle, quand, là, pour la somme et dans le but, comme… euh, par quoi j’ai commencé déjà ?!... N’auriez-vous pas sur vous un cachet d’aspirine, mon cher ? J’ai un peu mal à la tête.

 

Suite du recueil