Frigyes Karinthy : "Instantanés"
le bon Dieu l’a puni
Toute la
différence consiste en ce que moi à six ans je croyais encore au
Petit Jésus[1]. Mon fils Feri
n’y croit plus. C'est-à-dire il ne croit pas que c’est le
Petit Jésus en personne qui apporte les cadeaux de Noël – sa
notion de la divinité est désormais (ou encore) la même que
pour nous : une puissance invisible qui punit et récompense
indirectement, par notre truchement, nous les hommes.
Pourtant j’ignore lequel de nous deux
est plus proche de Lui, qui nous a enseignés : « Frappez
et on vous ouvrira. »
Et encore ceci :
« …jusqu’à devenir semblable à un de ces
enfants. »
J’ai souvent l’impression que
les adultes tendent à transmettre la volonté et la pensée
divines avec trop de sérieux, trop prétentieusement et trop
doctement. Ils imaginent Dieu à leur façon, avec une logique
humaine et non divine, qui veut que celui qui est si bon, si puissant et si
fort ne peut juger que sous telle ou telle forme.
Il juge, grâce à Dieu,
seulement les adultes, considérés comme mûrs – les
enfants, par bonheur, ne sont pas encore justiciables…
C’est pourquoi j’ose relater
ici une scène des plus charmantes qui m’a arrêté dans
la grande circulation de Noël.
Un gamin grassouillet d’environ trois
ans. Il s’arrache des mains de la brave nurse, et dévale à
toutes jambes les escaliers du grand magasin, pendant que ses parents,
chargés de paquets, peinent à le rattraper.
- Jancsi ! Sale gosse !
Veux-tu t’arrêter !
Jancsi rigole, s’en fiche, continue
sa course.
Le pépin se produit à la
dernière marche en bas. Il trébuche, il culbute en avant, plaf, dans une flaque de boue. L’instant suivant il
est déjà debout, il a un peu pâli. Ses lèvres se
tordent, mais ses yeux envoient des éclairs de rage. La brave nurse
accourt en glapissant.
- Tu vois, petit vilain ! Le
Petit Jésus t’a bien puni, tu vois !
Jancsi lève une tête
obstinée. Il devient tout rouge. Il fait la moue.
- Bah ! Il a seulement essayé !