Frigyes Karinthy : "Instantanés"

 

 

 

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recherche associÉ de confiance

 

Petite annonce.

Il est écrit : « Recherche associé de confiance ». Chercher un associé de confiance, c’est bien. Une sorte d’expression des bons vieux temps, elle a une consonance discrète.

Celui qui recherche un associé de confiance, est un brave homme honnête qui, même dans ce monde chamboulé d’aujourd’hui, dispose d’une base et d’une assise solide et plaisante ainsi que d’une fortune à faire fructifier dans les affaires, sous réserve de pouvoir y adjoindre un associé de confiance dont le capital moral et intellectuel servira de garantie à l’entreprise sérieuse et solide dont manifestement il s’agit.

On n’est pas a priori commerçant, et en tant que tel, on ne porte pas forcément dans sa musette le bâton de maréchal d’un associé de confiance, les yeux peuvent néanmoins être accrochés par une telle petite annonce.

Voyons un peu de plus près, dans quel but il cherche cet associé de confiance.

Hum.

Intéressant.

Le but est intéressant.

Écoutons-le jusqu’au bout : « Je recherche un associé de confiance, disposant d’un capital initial de trente mille pengoes , pour mon système de roulettes prometteur que je souhaite expérimenter l’été prochain à Monte-Carlo. »

Hum, hum – une petite erreur. Le capital intellectuel serait cette fois apporté par l’annonceur et son système de roulettes prometteur, c’est seulement pour le côté matériel subalterne qu’il a en fait besoin d’un associé.

Sous réserve que celui-ci soit de confiance.

Car imaginez, n’est-ce pas, tout ce qui peut arriver à un brave et honnête entrepreneur dans ce monde d’escrocs. Le premier venu se pointe, il dépose les trente mille pengoes nécessaires pour l’entreprise, puis il disparaît et tu ne le revois jamais. Tu peux toujours courir derrière.

Quelqu’un qui a un système sûr et infaillible pour escroquer la banque de Monte-Carlo ne peut tout de même pas s’exposer à une chose pareille.

C’est sa réputation qui est en jeu, il ne peut pas remettre son honneur au bon vouloir du premier prêteur venu.

Un mot d’un de mes amis me revient à l’esprit. J’ai assisté un jour à une de ses parties de baccara, et quand il n’a plus eu un sou, il s’est retourné vers moi : est-ce que je voudrais bien lui prêter mon dernier billet de dix couronnes (c’était il y a longtemps) ? À la vue de mon angoisse de ne jamais le récupérer, il m’a rassuré : il me le rendrait dès son premier gain, et il l’augmenterait même d’un pourcentage de ses gains ultérieurs.

- Mais si tu le perds ? – me suis-je inquiété, constatant qu’il misait la totalité de la somme.

- Parole d’honneur, je vais gagner ! – s’écria-t-il avec une conviction solide, et quelque peu indigné que je ne lui fisse pas confiance : ami et associé sans confiance dans une affaire sans faille.

 

Suite du recueil