Frigyes Karinthy : Recueil "Panorama", titres
des enfants et des fous...
Misike est
dérangé par maman pendant une occupation très
sérieuse. En effet il constitue une longue rangée de noyaux de
cerise par terre, en forme de serpent sinueux. Il est justement occupé
à retirer avec ses dents d’entre ses orteils les deux derniers
noyaux dont il a encore besoin. C’est une rude tâche, on comprend
qu’il souhaite régler l’incident dérangeant aussi
vite que possible.
Maman le relève et
l’étreint orageusement dans ses bras.
- Tu aimes Maman ?
- Tu aimes.
- Il faut dire : je l’aime.
Misike, avec condescendance :
- Je l’aime.
Le même après-midi, maman est
en train de se plaindre à l’oncle Ede. C’est insupportable,
avec les voisines, elles sont tout le temps fourrées à la maison,
tante Lotti me fait enrager, elle les attire comme un aimant. Qu’on lui
fiche donc la paix.
Misike entend le mot "aimant".
- Tu aimes Maman.
Maman en reste baba.
- As-tu entendu cet ange ?
Étreinte orageuse, larmes aux yeux.
- Le seul qui vaille qu’on
vive !... Il n’y a que nous deux !... Il n’y a que nous
deux qui nous aimons, ce petit mignon et moi !... Si je savais où
il va pêcher ces mots ! Chaque jour il me surprend d’un mot
nouveau ! Vous avez entendu ? Il a ressenti avec son petit cœur
que j’étais en colère et il a voulu me consoler !
Le soir c’est tante Lotti qui passe,
se plaignant qu’elle n’en peut plus avec cet homme. Tant pis, mieux
vaut qu’il ne rentre plus à la maison, mais il doit venir à
bout des clients et pas les mettre sur son dos à elle.
- Tu vas voir, je finirai par engager
une bonne à tout faire...
Misike repère "engager".
- Tante Lotti est toujours
enragée.
Ébahissement général.
Non mais, tu as entendu ce gamin ?
(Il a raison, le problème est en
effet que tante Lotti est constamment en train de se quereller, c’est
insupportable à la fin, oncle Ede a raison. Non mais ça alors...
Que dites-vous de ce gosse ? Des enfants et des fous... Il a bien
donné son avis !... Et quel bon observateur avec ça !...
Il faut que j’aille raconter ça à mon mari !... Quel
enfant original !...)
Bonsoir, Károly, mon chéri,
figure-toi, on est ahuris, que dis-tu de cet enfant ?... Figure-toi, tante
Lotti et moi étions en train de parler d’Ede, des problèmes
qu’ils ont... Tout à coup ce petit morpion se lève,
s’approche, regarde tante Lotti et dit : « Oui,
c’est parce que Tante Lotti n’arrête pas de le
quereller ! » On a failli tomber à la renverse !...
Lotti en est devenue rouge et blême, tu peux imaginer ça,
d’ailleurs elle est partie rapidement. Comment tu as déjà
dit, Misike ? Mais où va-t-il chercher ces mots-là, cet
enfant !... Il a tout observé dans sa petite tête et il a
réfléchi...
- C’est bien vrai, ils sont
extraordinaires ces enfants d’aujourd’hui... J’ai aussi
entendu une bonne histoire d’enfants chez les Stetter... Mais
malheureusement je l’ai oubliée.
- Quoi de neuf chez les Stetter ?
- Il y a que Stetter court à la
banqueroute s’il continue comme ça. Au demeurant, ils nous ont
invités dimanche pour dîner et ils veulent qu’on
emmène aussi Misike.
Le dimanche, chez les Stetter.
- Alors, qui vient dire bonjour au
monsieur ?
- Ne fais pas le vilain, Misike... va
dire bonjour au Monsieur. Allez, raconte, comment ça s’est
passé avec Tante Lotti. Figurez-vous, c’est inouï... On
était assis ensemble, en conseil de famille... On n’arrivait pas
à en venir à une conclusion... Alors brusquement, ce petit
morpion se plante devant nous et administre son verdict... Il dit que
c’est Oncle Ede qui a raison... Comme un adulte !... Misike, veux-tu
m’obéir ?...
- Je vous ai fait de la choucroute,
annonce Madame Stetter.
Misike dresse l’oreille.
- Non !... C’est Monsieur
Stetter, court à la banqueroute !...
Énorme scandale ! Eh bien
ça alors !... Kyrie Eleison, enfant, où es-tu allé
chercher ça ??!... Il y en a là-dedans !...
Des enfants et des fous...
J’ajouterais aussi le phonographe.