Frigyes Karinthy :  Recueil "Panorama", titres

 

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les choses telles QU’ELLES SONT

ou

ben, Il fait un peu chaud, c’est vrai

 

Comme nous l’avons déjà, hum, caractérisé, ou plutôt signalé hier – avec ce machin, hum, avec ce machin important dont la vision politique détermine à l’heure actuelle l’œil de l’Europe – que ses deux yeux crèvent ! Et même d’après quelques initiés, il laisse pendre sa langue, vu que d’après l’excellent ethnologue il paraît qu’il fait très chaud, ce que d’ailleurs j’ai entendu de plusieurs sources, je pourrais même dire que c’est chuchoté dans toute la ville. Il y en a qui l’attribuent tout simplement à une hausse de température, a déclaré l’excellent homme d’État à notre correspondant. Une hausse ! Le soleil se hisse au-dessus des montagnes – c’est magnifique, ce poème brûlant, bruni par le soleil, ce poème ouf qu’il fait chaud a été écrit par un certain Pál Gyulai à la madame Pókai, comme nous l’avons anticipé sans erreur dans le numéro de mercredi de notre journal. Je lui ai naturellement rendu visite aussitôt et je l’ai interviewée. Ouf, qu’il fait ce que vous savez !

- Que dis-tu du numerus clausus ? – lui avons-nous demandé tout en déboutonnant le col de notre chemise.

- Oh, oui, tout est superbe. Budapest est la plus belle métropole d’Europe, j’ai été enchanté ! – a dit le général. – Puis il m’a demandé de publier que demain elle montera sur scène pour un prix modéré.

- Certainement, Madame l’actrice ! – ai-je vivement crié, et je lui ai pincé le menton. Son excellence m’a permis de disposer de bonne grâce après s’être tournée vers son secrétaire pour lui demander s’il était vrai ce que d’aucuns racontent, qu’on pouvait crever de chaleur.

Néanmoins les mandragores continuent de prospérer dans le parc, et tout le monde ne parle que de Lui, du découvreur des rayons mortels que j’ai réussi à aborder.

- Qu’avez-vous à dire à propos des acteurs allemands à Paris ? – lui avons-nous demandé tout de go tous les trois, puisque la température était un petit peu plus élevée.

L’assassin a regardé pensivement ses pieds.

- Je crois, se déclare-t-il enfin, que dans l’œuvre de Pál Gyulai que vous mentionnez, il n’est pas question de rue Werbőczy. De toute façon le gouvernement ne nous permettrait certainement pas de nous tabler en ce moment ce chancre de la société, Messieurs.

Il faut dire les choses comme elles sont, depuis longtemps on prévoyait d’interdire le mariage des cousines entre elles, mais ce bel élan a été brisé par la résistance des racistes. Mais ça n’a fait que redoubler la chaleur insupportable, sur quoi, à Chicago, quarante personnes et six chevaux se sont affalés dans la rue, mais les Rassay évidemment n’ont pas un seul mot là-dessus ! Eh bien, c’est du joli, merci bien.

Mais les azalées dans le parc continuent de fleurir, et Mussolini se promène au Forum en bras de chemise et en appelle à tout le monde : herbe, prêtez-moi un mouchoir, il fait chaud, sacré nom ! Nous avons eu l’occasion d’échanger quelques mots avec lui à l’instant où il sortait, veillant soigneusement à la pureté de l’âme et en remettant sa conscience en ordre.

- Si j’arrive à la supporter ? – l’épouse souriante relève la question. Évidemment j’y arrive, je ne suis pas assez folle pour fondre. Au demeurant je suis d’avis que ce brevet à la Pál Gyulai à propos de la hausse artificielle de la température ne peut pas convenir à Madame l’actrice. Elle souffre d’une audition bilatérale des oreilles, à ce qu’on dit.

Elle nous a serré amicalement la main à chacun, et l’actrice nous a conduits jusqu’à la cour de la maison d’arrêt.

Très brièvement et sans commentaire superflu c’est tout ce que nous avons pu apprendre sur l’affaire. Il est certain que cette femme bizarre est venue au monde avec deux têtes. Les savants ont pu établir que les deux têtes sont complètement séparées, leur appartiennent deux cous, deux paires d’épaules, à chacune deux troncs et deux fois deux bras et deux fois deux jambes. Et les deux parties ne sont nulle part réunies ensemble. Dans l’histoire des jumeaux siamois ce cas est sans précédent dans la science, d’autant plus que les deux femmes ne sont pas jumelles et pas même des sœurs. Elles sont totalement indépendantes. Elles ne se connaissent pas. L’une vit à Londres, l’autre à Budakeszi. Et ceci depuis leur naissance ! Épouvantable !

Par ailleurs la météo prévoit de fortes pluies pour hier.

 

Suite du recueil