Frigyes Karinthy - Poésies : À nul je ne peux le confier

                                                           

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mon congÉnÈre

 

Mon congénère

susurrant,

roulant les yeux,

Tu proposes à des femmes, insolent, ton argent,

Misérable

Ne sens-tu pas ton haleine,

Peut-être ignores-tu que c’est
de ton haleine
que la coupe des roses
s’est fait malodorante,

De même le jasmin, sa fleur à peine éclose
partout

Qu’as-tu fait, malheureux ? Tu l’ignores
Horreur

C’est aussi par ta faute qu’est transformé amer
le rire émerveillé, heureux,

C’est aussi par ta faute que notre bouche crache
dégoûtée, convulsée,

La cerise sucrée, car dans chaque cerise
tu as pondu ton ver,

C’est de toi qu’a appris à porter cet opium

Néfaste en son calice le gai coquelicot

La vipère son venin, son croc empoisonné,

C’est toi qui as placé entre les frêles mains
du beau petit garçon
une bombe et un couteau,

C’est à toi que la soif pure qui offre innocemment
du vin doux
contre la rosée fraîche,

Doit le regard marchand de l’orgueil imbécile

     sous ses cils soupçonneux,

À toi le crachat que la femme encolérée

     muée en fauve

     lui crache aux yeux

et à toi le poignard qu’elle se plantera

     dans le cœur,

     toi l’écarlate

     le dégoûtant

Et le rimmel qui ment dans l’enfer du plaisir

Tu as gâté les doux bosquets d’Agricola

Et dans le flageolet du berger mélodieux

Tu as dissimulé le strident grincement
du gravier

La pure essence de l’amour, cadeau divin
tu l’as rendue
imbuvable

Et c’est toi aussi que j’accuse de la guerre

Et que sur cette Terre se détestent les peuples
qui aspirent à s’aimer

Et si de blêmes chiens ricanant envahissent
même les ruines
de l’Europe écroulée,

C’est de cela aussi que je t’accuse encore,
misérable. Je te hais,

Je me détourne

pour ne pas te voir ;

Bois la belladone que tu as concoctée.

 

Suite du recueil