Frigyes
Karinthy - Poésies : À nul je ne
peux le confier
le
fredonnant
J’étais arrêté près d’une clôture Où la rue s’achevait – Lâche et débraillée cette créature, Mon ombre, m’accompagnait. Affamée, langue tirée, bête brute Mon ombre haletait là-bas – Toi, mâtin affamé, chien hirsute, Tu me suis pouilleux, pourquoi ? Mon ombre, ombre couleur souillure, Et ma honte, couleur ordure, Oh, laisse-moi fredonner ma brûlure. Fredonnant[1] (Ce serait bien trop tôt pour mourir maintenant Quitter ma maîtresse Reposer au cimetière Entre muguets et acacias.) Attends ! Je te lance mon pied Sale bête, chien noir, charogne ! Qu’as-tu là à traînailler ? Tu n’entends pas ? Je fredonne. Ta gorge béante, qu’a-t-elle à gémir ? La chair de mon cœur je ne te la jette, Tout peut aller mieux, tout peut mieux finir Mon cœur bat fort dans le silence Et elle m’aime celle que j’aime elle m’attend Dans une chambre douillette, Un limonaire grince, je l’entends. Fredonnant (Ce serait bien trop tôt pour mourir maintenant Quitter ma maîtresse Reposer au cimetière Entre muguets et acacias.) Ça irait si mal ? Non ce n’est pas vrai, Je ne suis pas aussi pauvre ; Je peux posséder des femmes – non mais ! Il y a de la musique Dans le vacarme du limonaire. J’ai de l’or, moi, Tu entends, j’aurai de l’or, Et mon argent à ma place Leur dira que je suis bon Que je voulais la justice, Que je disais la vérité Et que mon visage est mon vrai visage Que le soleil brille ou l’orage gronde. |
Fredonnant (Ce serait bien trop tôt pour mourir maintenant Quitter ma maîtresse Reposer au cimetière Entre muguets et acacias.) Nigaud de Dieu : mon cœur trémolo Dans la nuit, cesse ta danse - Grondent les chaînes, on dirait un galop Là, dans la profondeur pourpre ! Qui m’envoie ici défaire Bêtement des nœuds tortillés ? Qui veut pousser sous la terre ma tête ? Me rouler dans les fossés ? Qui en ricanant mon pied crochète ? Holà, je ne joue pas ce jeu bête ! Holà, c’est un jeu abject. Holà ! Hors de terre la tête ! Fredonnant (Ce serait bien trop tôt pour mourir maintenant Quitter ma maîtresse Reposer au cimetière Entre muguets et acacias.) Par-dessus cette terre mortier Bouchon de liège, je flotte - Et flotte le vert pâle des bosquets À l’orée de la montagne. Ni dessous ni dessus : Dessous le noir, dessus le froid – Ô surface de la terre Chaude, couleur lumière, Sommet des choses, déserte, nue Crète de l’eau, arbre écorce, Oh, couverture de méchants contenus Peau lisse et douce de ma maîtresse. Fredonnant (Ce serait bien trop tôt pour mourir maintenant Quitter ma maîtresse Reposer au cimetière Entre muguets et acacias.) (1913) |