Frigyes Karinthy - Poésies : À nul je ne peux le confier

                                                           

afficher le texte en hongrois

morte

 

Le printemps et l’été offrent au vivant des fruits,

L’hiver du vin,

Mais je sais désormais ce qui nourrit la morte :

Nourrie de larmes.

 

Elle gît désormais là au fond de la tombe,

Hiver ni été n’y sont,

Son visage est jaune et ses yeux s’enfoncent

Elle attend des larmes.

 

Elle gît et attend de voir si on viendra,

La morte attend.

Ne remercie, n’accuse, ni demande ni donne,

Elle n’a besoin

 

De soleil ni de lune, ni de beaux paysages,

Ni de souvenirs,

Et ne veut que des larmes quand chuchotent les arbres,

Et sa gorge se serre.

 

Quand la terre gargouille, et le silence éclate,

Et l’os dessèche inhumé,

L’os attend, il attend, le battement rythmé

Du tendre vivant.

 

Quand tes lèvres se courbent, si tu pleures, n’oublie pas,

Parfois il rit

Du sourire goguenard de son visage osseux,

Sache-le.

 

 

J’ai déjà tant pleuré, les larmes ont délavé

Mon cœur, c’est trop,

Comme un cuivre verdi comme la filandreuse

Indifférence.

 

J’ai pleuré là où personne ne me voyait,

Dans des endroits

Immondes et infects car la pleurnicherie

Je la hais.

 

S’il faut encore des larmes, fais-moi signe, ma morte,

Le repas dure encore,

Si tarissent mes yeux, j’ai du sang s’il le faut,

Du sel aussi.

 

Et je m’écoule en larmes, je rentre dans la terre,

Si c’est ce que tu veux :

Ma morte, je te lave, te déterre à la bêche

Sors du linceul.

 

Et le ruisseau de larmes, avec toi part en crue,

Enflées souillées,

Parcourt le cimetière et traverse les murs

Cascade de larmes.

 

Et qu’un nouveau déluge fasse tourner la terre

Tel l’enfant la toupie.

Sur l’esquif de Noé aux écumes des flots,

Vogue ton cercueil.

 

Oh morte, toi ma mère, ma maîtresse, ma femme,

Mon enfant, mon amie

Débarque et donne-moi des nouvelles si tu

Accoste un nouvel Ararat.

 

 

Suite du recueil