Frigyes Karinthy – Poèmes parus dans la presse

 

                                                           

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petit poussin regardant le soleil

 

Bête duvetée, minuscule poussin jaune

Dans le vaste jardin de mon aimable tante :

Qu’en dis-tu on parle même de toi aussi –

Parmi mes souvenirs, petite feuille jaune,

Qui survit là sur une brindille fanée :

Elle parle de toi. C’est une chose simple !

Je n’en ai pas honte, je vais écrire ici

Ton destin noir sur une belle feuille blanche.

Puisqu’a vécu, le petit oiseau duveté,

Lui aussi chauffé par le rayon du Soleil.

J’aimais regarder la petite armée active,

Assis sous l’auvent les après-midi d’été

Silencieux de soif, du côté ombragé

De la vieille maison ; pendant que maman poule

Cotecodait alentour affairée, diligente,

Une mûre muette me tomba sur le front,

Les petits poussins courant autour de mes jambes

Ramassaient en pépiant les petits grains par terre.

L’un s’égare pourtant se hâte vers les autres

En cris écervelés, il trébuche effrayé

En courant sur la pointe de mon soulier.

Il rattrape les siens, il est tout essoufflé.

Courte altercation, encore quelques secondes,

Et déjà ils sont tous sous l’aile protectrice.

Et le petit poussin dont je viens de parler

Ce petit trébuché, lui qui a tant couru !

Ils étaient tous pareils, tout comme des lentilles.

Et pourtant celui-ci, je l’ai bien reconnu.

Parmi les petits peut-être le plus petit,

Qui n’était pourtant pas resté près de sa mère –

Le fils prodigue, s’en était bien éloigné,

Et les autres avaient picoré sa part de graines.

Les autres qui étaient très sagement restés

Là où était la poule et où sont les becquées.

Et madame la poule se fâcha très fort

De voir un de ses fils aussi insupportable.

Elle lui houspillait sa tête ébouriffée

Quand il ne mangeait pas la mie de pain offerte.

Bref : on comprend qu’il soit resté si minuscule

Il se passa un jour, un jour de grand Soleil

Que le poussin partit pour découvrir le monde.

Mon poussin se plaisait à regarder là-haut

La grande boule qui brille dans le ciel bleu,

Si blanche, si brillante et si belle aussi…

Le corps céleste lui adressait son sourire.

Qu’il est beau, qu’il est beau ! Il le regarde encore

La boule paraît descendre… encore plus bas…

Le bêta s’imagine que c’est pour lui seul

Que le Soleil brille dans la voûte céleste.

 

                        *

Et ma tante appela : « Julie, viens-tu enfin !

Ne reste pas oisive, j’ai du travail pour toi.

La pendule a déjà sonné six coups du soir,

Tu dois porter les graines à la basse-cour ! »

« J’y vais, ma tante ! » « Mais plus vite que ça ! »

« Tenez, petits poussins ! Va-t'en, vilaine dinde ! »

Et ma tante me dit : « Julie, Julie, vois-tu ?

L’un des petits poussins n’est plus parmi les siens,

Et il ne mange rien, regarde, il est fiévreux ! »

« C’est vrai, ma tante ! » - « Apporte-le-moi ! » - « Je l’apporte. »

« Mais il ne se rend même pas compte où il est ! »

Mon petit poussin était maintenant couché

Haletant sur la main prudente de ma tante.

Son bec pépiait, il piaillait doucement

Il tendait nerveusement son cou en avant –

« Ses yeux sont très enflés, et tous les deux fermés,

Il n’est pas étonnant qu’il ne voie rien du tout. »

Ma tante l’emporta tendrement, prudemment,

Par la cour et la cuisine jusqu’à la chambre

Elle trempa un linge dans un peu d’eau tiède,

Elle en recouvrit les petits yeux enflammés..

Moi je restais assise dehors sous l’auvent,

Le vieux Soleil d’été allait vers son coucher.

L’air était léger, pur, la brise caressait.

En hauteur dans l’arbre chantait un rossignol,

Et la vieille poule, tout comme d’ordinaire,

Cherchait par terre des graines, c’était son affaire,

Et elle conduisait à travers les broussailles

L’armée piailleuse de ses petits poussins.

Mais dans la maison, au rebord de la fenêtre,

Le poussin, pauvre petite chose, pépiait.

- Comme ce serait bien d’être avec maman poule,

C’est elle qui soigne, c’est elle qui endort  -

Oh comme il aimerait près d’elle se blottir

Dans l’abri béni de son doux et chaud plumage.

Mais personne ne vient. Maintenant la nuit tombe

Avec les geignements de la petite voix.

Deux jours ainsi passèrent. Mon petit poussin fou

Restait là couché sur le bord de la fenêtre,

Il tirait fréquemment sa tête ébouriffée,

Pour mieux voir si la nuit allait encore durer.

En espérant toujours que le Soleil, peut-être,

Allait enfin briller au mur de notre chambre.

Mais le troisième jour ses plumes caressées

D’un vent léger, il ne sentait plus de douleur

Dans ses yeux tout brûlants ; puis deux mains le saisirent

Et tendrement dénouèrent le linge humide.

Mon pauvre poussin fou attendait, espérait

Plonger dans la chaleur des rayons du Soleil.

Puis il entendit des bruits et des piaillements

Quand on le porta à travers le poulailler.

Puis on le déposa dans un herbage tendre,

Prudemment, lentement, très délicatement.

Il se tut. Au-dessus de lui exactement,

Une guêpe bourdonna contre son oreille,

Mais l’horizon était désert comme la nuit.

Il rentra sa caboche et traversa la piste

À petits pas soucieux ; une brindille sèche

Lui barra le chemin. Il trébucha dedans

Et s’affala par terre. Il aurait pu mourir.

Mais je l’ai ramassé. Il en fut effrayé.

Le bruyant peuple des volailles courait là.

Mère poule au milieu. Et mon petit poussin

L’ayant perçu, se mit à pépier faiblement.

Il signalait ainsi sa présence. Aussitôt

La bonne mère poule sévère et soucieuse

S’arrêta, découvrant son doux enfant prodigue,

Hocha gravement sa grosse tête crêtée,

Et se mit à le rabrouer, très en colère.

D’où vient-il ? Et pourquoi a-t-il si peu de plumes ?

S’est-il avili comme petit d’un milan ?

Pourquoi donc garde-t-il ainsi fermés ses yeux ?...

Elle lui malmenait sa tête ébouriffée.

Je l’ai souvent revu ce cher petit poussin,

Blotti sous les ailes de sa mère la poule,

Entouré de la petite équipe à duvets.

Dans ces moments le pauvre petit se sentait

En sécurité sous les ailes moelleuses.

Dès lors le poussin aveugle erra çà et là.

Plus tard je l’ai fréquemment revu solitaire,

Il rentrait sa tête et tremblotait sur ses pattes.

Je le prenais dans ma main. Il se laissait faire.

Il frissonnait un peu, il gigotait aussi,

Se sentant rassuré, il s’allongeait par terre..

Gardait le bec fermé, nullement effrayé

Dans l’indifférence, petit oiseau hirsute.

J’ai mis alors quelques grains de blé dans ma main,

Croyant qu’il avait faim. Ne le remarqua pas.

Alors sa petite tête je l’ai serrée

Contre un grain de blé tenu dans l’autre main.

D’abord timidement, et puis il s’enhardi

Il en picora un, il l’avala d’un coup,

Puis rapidement, dans un mouvement furtif,

Peureux, comme pressé, comme qui se dépêche,

Comme qui a peur de ne pas avoir la suite,

Picora un à un, en rafale, les grains.

Puis il s’arrêta. Désarçonné, doucement,

Il resta en attente installé sur ma main.

Je l’ai posé à terre. Ses pattes maigrichonnes

Et devenues bleuâtres ne le portaient plus

J’ai transporté le pauvre dans la resserre à bois,

Je cherchais une cuvette qui fît l’affaire,

Je l’ai doublée de plumes et avec de la mousse,

J’y ai déposé des miettes, du blé, de l’eau,

Puis je l’y ai couché afin qu’il se repose.

Je suis allé le voir, le lendemain matin.

Le soleil sommeillait encore au flanc des cimes,

Le ciel était couvert, nuageux, et dessous,

Un vent frais faisait doucement frémir les feuilles,

De son charivari le peuple de volailles

M’entourait et réclamait de la nourriture.

Dans la fraîcheur obscure de la resserre à bois

Une odeur de pin m’accueillit et un silence.

Dans son nid douillet, dans un silence infini,

Mon tout petit poussin était allongé là.

Je me suis penché près. Il haletait à peine,

C’est ainsi que mourut mon cher poussin aveugle.

Comme je ne savais pas quoi faire de lui,

Je suis allé le poser au fond de la cour,

J’ai regagné la maison. Sur la galerie

M’attendait mon petit déjeuner préparé.

Pendant ce temps dehors le peuple des poussins

Se rassembla autour de mon petit poussin.

L’un d’eux, timidement finit à petits pas

Par le toucher – cela donna courage aux autres.

Ils se mirent à becqueter et tirailler

Son petit corps hirsute, son corps devenu froid.

L’un d’eux sauta sur lui, sitôt il retomba.

Survint la mère poule, pépiant très en colère

Crêpa si puissamment au chignon l’insolent

Qu’elle eut du mal à cesser de le corriger.

Les autres poussins suivaient la scène de loin.

Le petit insolent vacillait sur ses pattes.

La poule caquetait… le poussin gémissait…

Les autres observaient… Le soleil apparut…

Mon poussin gisait là au  pied d’un tas de sable.

J’étais triste et pourtant je me suis mise à rire.

 

                                                                       Az Újság, 13 mai 1906.

 

Suite du recueil