Frigyes Karinthy – Poèmes parus dans la presse

                                                           

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CONTE DU PETIT TRAM QUI S’EST ÉGARÉ[1]

 

D’où viennent, tu me le demandes,

Où courent les tramways brillants

Qui par les rues vont en bande ?

Mon Toto, c’est long, attends,

Je vais t’en dire le conte.

Alors, au-delà des mers,

Tout à l’autre bout du monde,

Où vit la fée aux yeux pers,

 

C’est là qu’ils vivent et qu’ils dorment,

Que leurs lampes-yeux, doucement

Se ferment. C’est là qu’ils forment

Un troupeau douillettement.

Ils se disent en leur langage :

Drelin drelin, combien de gens

As-tu écrasé au passage,

Ovationnent le plus vaillant.

 

C’est là que les poussins grandissent,

Les charmants trams oisillons.

Ils tintinnabulent, s’esbaudissent,

Pépient comme des grillons.

Ils n’ont pas appris encore

À suivre les rails y rouler,

Et leur maman les implore

De téter l’électricité.

 

Plus tard ils iront à l’école

Où ils apprennent à écraser

Les gens de leur habit de tôle,

Comment le piéton guetter

En théorie comme en pratique,

Quand le naïf va sur les rails,

D’une manœuvre acrobatique

Lui défoncer le poitrail.

 

Toto, écoute cette histoire !

Le petit sept, un soir d’été,

(Ce n’est dans nulle écritoire)

Un espiègle tram blondinet,

Pendant que la vieille neuf, sa mère

Relevait son receveur,

S’est sauvé par un trou derrière

La grille dans la rue des Fleurs.

 

Le soir tombait, de blancs nuages

Rougeoyaient et voltigeaient.

Le petit sept était aux anges,

Gaiment tintinnabulait.

Les néons de l’avenue

Brillaient sur le boulevard.

Le petit sept était aux nues,

Drelin chantait-il, gaillard.

 

La nuit tomba, tout devint sombre,

Alors le petit sept eut peur,

Il erra par des rues sans nombre,

Il fit froid, fort battait son cœur.

Il chercha, épuisé, sa route,

Par où passer et pourquoi.

Puis s’arrêta dans sa déroute,

Pauvre enfant perdu, il pleura.

 

Toto, c’est un bien triste conte :

Car un peintre en bâtiment

À l’angle de la rue Géronte

Sur ce pauvre sept innocent

Laissa dévaler une poutre.

Ce fut lors son dernier arrêt.

Écrasé, là sur la route,

Il cria encore : « Complet ».

 

Borsszem Jankó, 22 août 1915

 

Suite du recueil

 



[1] Traduction libre