Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

 

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communiquÉ militaire

 

de la Mer Jaune à la Sublime Porte

 

LES AMIRAUX SE PLAIGNENT PARCE QUE LA FLOTTE IMPERIALE

NE DISPOSE NI DE SUFFISAMMENT DE CHARBON, NI D'ASSEZ DE RIZ.

QUELQUES BOULETS QUE, SOUS HANKAU[1], LES TROUPES GOUVERNEMENTALES ONT TIRÉS SUR LA VILLE,

ET QUI PLUS TARD ONT ÉTÉ RETROUVÉS DANS LES COLONIES ALLEMANDES

 SE SONT AVÉRÉS ÊTRE EN FAIT DES OBUS PEINTS EN NOIR.

Porte Majestueuse ! Ces affreux révolutionnaires ne nous laissent pas vivre tranquille. Sur ordre de votre Majestueuse Portité, nous avons pris notre petit bateau sur le dos et nous l'avons porté sur la Mer Jaune afin de trucider les petits révolutionnaires. Trois par trois, nous nous sommes assis dans nos petits bateaux et nous avons navigué sur la petite Mer Jaune. Alors là, tout à coup arrivent ces révolutionnaires sur un gros malabar de bateau mal élevé, même leurs canons n'étaient pas peints en joli jaune, mais simplement laissés comme ça, en noir. Nous leur avons offert du thé, mais ils ne voulaient pas boire ; ils ont fait des vagues si grosses qu'elles atteignaient presque la peinture jaune et le papier de soie sur nos voiles a failli être mouillé. Alors nous nous sommes fâchés et nous leur avons lancé du riz, cinq kilos au total, mais ça n'a pas eu d'effet. De leur canon à eux sortaient de gros grains noirs qu'on ne peut pas manger mais qui explosent aussitôt. Nous commencions à manquer de riz, mais il nous restait encore des billes en bois avec lesquelles nous avions l'habitude de jouer et de boire leur thé. Nous n'avons pas retrouvé la poudre car elle était dans la théière et dans une des tasses, mais nous n'avons pas retrouvé la tasse avec l'ornement doré sur son côté. Alors nous avons un peu décoré les billes avec de la peinture dorée, nous avons peint des arbres dorés et des oiseaux dorés sur les billes pour qu'elles aient une certaine allure avant de les tirer – ensuite nous avons tiré les billes. Mais notre ami Tching-Tchouang, le peintre, s'est rappelé que sur l'œil doré du faisan doré il n'avait pas terminé la coloration de la plume noire. « Aïe, aïe – a-t-il dit – houang-ho, il faut absolument y mettre de la peinture ! » et il a sauté dans son petit bateau pour suivre sa bille, et heureusement il l'a rattrapée avant qu'elle n'atteigne l'autre bateau, tout en courant il a peint dessus une petite geisha dorée avec du thé et du riz. C'était très beau, et quel dommage que les affreux révolutionnaires nous aient de nouveau lancé dessus de ces grands grains noirs qui font des grosses vagues, tellement que la vague est montée jusqu'au haut de notre petit bateau, et notre petit bateau est devenu mouillé et même complètement trempé, parce que si vous voulez savoir, ces bateaux de guerre sont faits de mauvais papier qui se mouille aussitôt sous nos pieds. Nous avons sautillé un peu mais quand nos bas de soie jaunes ont été mouillés eux aussi, nous avons sauté de nos bateaux, nous avons mis un peu de thé dans la Mer Jaune, nous l'avons fait bouillir dans la théière, nous avons déposé douze grains de riz cuits sur la rive et avec nos douze petites tasses, nous nous sommes assis tout autour. Notre prochain plan de bataille est de boire la Mer de Thé Jaune pour faire échouer les bateaux ennemis. Nous déposons un baiser sur le bout de l'ongle de votre Portité Majestueuse, mais si notre plan échoue, nous serons obligés d'ouvrir nos petits ventres, cela en général dégoûte l'ennemi, hi, hi, hi…

 

Fidibusz, le 10 novembre 1911.

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[1] Ville de Chine, où depuis 1900, les Allemands affrontent les Chinois.