Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Cher fidibusz ![1]

Courrier des lecteurs

Cher fidibusz l'ai subi le mois dernier une énorme et indigne injustice. Avant d'entrer dans les détails je dois vous dire que je suis l'homme le plus loyal de la bi monarchie, je ne respire que pour la dynastie. Je donnerais ma vie à tout moment pour mon roi et sa famille bien aimée s'il le fallait. Et c'est précisément pour cette raison que m'est tombée dessus cette lamentable indignité que je relate ici.

L'autre jour je passais la soirée au casino de la ville (je suis un provincial), quand tout à coup le tocsin a retenti. Au feu, au feu, avons-nous crié en courant vers la rue. Une fois dehors j'ai appris que c’était précisément ma maison qui était en feu. Et aussi que mon salon était la proie des flammes ; or c'est sur les murs de cette pièce qu'étaient suspendus les portraits des membres de la très honorée famille impériale. Les superbes lithographies de sa Majesté la Reine Élisabeth et du dauphin Rodolphe.

La pensée qu'elles puissent partir en fumée m'était insupportable. J'ai couru, la maison était en flammes. Personne n'osait vraiment approcher le danger. Alors moi, tel un lion furieux et intrépide, je me suis jeté dans la fournaise.

- Je n'abandonne pas la dynastie ! - ai-je crié, et me voilà dans le salon. De la pièce voisine j'entendais les cris d'effroi de mon épouse et de ma belle-mère, mais pouvais-je me soucier à cet instant d'autre chose que de leurs majestés de la famille régnante ?! J'affirme sans fausse modestie que j'ai lutté en héros et que mon courageux combat a été couronné de succès. Mon épouse et ma belle-mère ont péri dans la maison, mais leurs majestés ont été sauvées.

J'ai sauvé la vie de la famille royale !

Cela mérite récompense et j'ai requis cette récompense à Vienne. Mais hier ma lettre m'a été retournée sans aucune explication, en revanche accompagnée d'une convocation officielle pour un examen de santé mentale. C'est sur cette hurlante iniquité que je voulais attirer, cher Fidibusz, l'attention de votre cœur si épris de justice.

 

F.K.

Sauveteur de la Famille Impériale et royale

Fidibusz, 6 mars 1908.

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[1] Magasine des années 1910