Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

 

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Noirs pÉchÉs·

 

(Sombres amours)

 

Pornographie ! Pornographie !

! Un contenu intéressant !

 

(Ébauches d'un écrivain débutant : xxvii.)

 

Non, ça ne conduira l'écrivain débutant nulle part ;

 Il faut enfin trouver quelque chose. Essayons donc la pornographie,

Plus exactement un article pour la rubrique "Art et Littérature"

des quotidiens, sur la dernière page, au voisinage des petites annonces.

 

Rubrique Art et Littérature

Noirs péchés loirs péchés. (Sombres amours).

Notre jeune et talentueux écrivain a les nerfs fragiles, il a publié un très beau livre sous ce titre. Il traîne son lecteur parmi les sombres et sordides perversions de la vie amoureuse, à travers le sombre marécage des horripilantes folies fouettées par le sang impétueux, non pas, bien sûr, pour l'exciter, mais pour lui désigner les horribles abysses des sombres, incroyables et effrayantes perversions dans lesquelles se débat la rouge démence d'un système nerveux délabré dans les noires divagations incandescentes de vertiges jusqu'alors inconnus ; son réalisme bouleversant englobe les moindres détails ; il ne recule pas même devant la description de la rouge énormité des horreurs amoureuses sombrement bouillonnantes qui font trembler d'effroi chacun de nos atomes. Ce n'est pas un livre immoral, ce sont les confrontations amoureuses les plus divagantes… etc. (encore une cinquantaine de lignes sur le même ton, suivies par l'indication du prix du livre et des modalités de livraison. Demi-tarif pour les élèves du secondaire.)

 

La couverture

 

Au second plan vibrent des flammes rougeoyantes, au premier plan une femme nue aux yeux verts est assise et elle se gratte la plante d'un pied en affichant un sourire mystérieux. Parmi les flammes, des yeux virils, sanguinaires la fixent, trois langues haletantes pendent dans le coin supérieur gauche de l'image. Quelques lignes symboliques.

 

Le contenu

 

I.

 

…La jeune passionnée, cheveux roux, est assise sur le canapé dans l'alanguissant crépuscule d'été…

Elle étreint ses genoux repliés, elle réfléchit de ses bras blancs désirables et de ses yeux incandescents…

À quoi elle peut bien penser ?!…

À quoi ?…!…!

(... ? …)

II.

 

La sonnerie retentit… Irma, effrayée, sauta du canapé et… avec ses mains blanches… elle aplatit… les faux plis… de sa jupe…

Il était là, dans l'encadrement de la porte. Balázs Nagy.

Une vapeur rouge, haletante, auréolait son visage…

Il sauta fougueusement auprès d'Irma, étreignit passionnément son cou et de ses lèvres il piétina sauvagement sa bouche charnue…

Irma éprouva un singulier frisson… des vertiges… une impression étrange… étrange… le plaisir…

L'air âpre du tiède crépuscule brûlant d'été tinta à leurs oreilles comme un froufroutement obtus…

 

III.

Balázs Nagy prit Irma… pour femme…

La femme à l'abondante chevelure rousse… qu'il aimait… sauvagement, à la folie… car elle avait… un corps blanc… et des bras blancs.

C'est pour cela qu'il l'aimait !!!… Lui, le mâle sauvage, enragé !!!… Car elle était belle…

Après les noces, Balázs Nagy ouvrit la porte de la chambre d'Irma sans dire un mot, un feu rêveur papillotait dans ses yeux… Dans la flamboyante pénombre cramoisie, les deux êtres balayés par des flammes pourpres échangèrent quelques mots suffocants…

… Et la splendide pécheresse ne résista pas… Quelques minutes plus tard elle tomba dans ses bras, étourdie d'ivresse…

Dans cette sordide chambre obscure…

 

IV.

 

Et alors commença une vie épouvantable.

Ces deux êtres, dont l'un était homme et l'autre était femme allaient… désormais…

Dans une chambre…

À plusieurs reprises ils s'approchèrent tout près l'un de l'autre, il  se blottit contre elle, il l'étreignit des deux bras…

Il l'attira violemment contre lui…

Un homme et une femme… ! Le flamboiement de terribles et obscures braises profondes… des désirs… des désirs insensés… des idées… des concupiscences tourbillonnantes et bouillonnantes…

 

V.

 

Et cette vie tourbillonnante, bouillonnante, flamboyante, rouge feu dura une année…

Et alors il se passa quelque chose de sombre, de pornographique…

Irma mit au monde un enfant…

Un enfant fait de chair et de sang et d'os sombres et spasmodiques, la Vie cliquetait violemment dans les vaisseaux…

L’immense Vie destructrice, pécheresse, convulsive… La Vie croupissante…

 

VI.

 

Et voilà qu’un jour l'enfant, en un geste paroxysmal s'accrocha à Irma, colla soudain sa bouche à son sein…

Animé d’un violent plaisir sombre, flamboyant, bouillonnant il se mit à téter… à téter…

Mais nous ne poursuivrons pas cette épouvantable pornographie…

Nous prions le lecteur de n'en rien dire à Monsieur le Procureur.

 

Fidibusz, 23 juillet 1909.

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· Variante du cinquième chapitre du "Grand roman de Budapest" (Note de l’auteur)