Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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j’ai chassÉ au lion ce matin

Description : Description : Description : C:\la tour\DOSSIER ZUT\FRIGYES\Site KF\Fonds d'écran\1935 fonds\J'ai chassé au lion ce matin l.jpgepuis qu’en l’espace de quarante-huit heures j’ai fait un aller et retour à Londres, mon cher lecteur me suppose capable de tout, et il s’imagine (puisqu’il ne doute naturellement pas que je dise la vérité) que la susdite chasse au lion, je l’ai organisée ce matin autour de huit heures, puisque le présent article je l’écris déjà ici dans les bureaux de la rédaction.

Un coup d’œil sur les photos devant moi explique tout.

Je suis arrivé par hasard au zoo (pardon ! Évitons les plaisanteries faciles si tôt le matin !), et j’ai constaté que le camp des internés, ou comment je devrais appeler ces messieurs les animaux, est une population lève-tard. Seul le raton laveur était déjà réveillé, il devait avoir pris du retard dans son travail, quelques hiboux et phoques criaient de leur voix éraillée en exigeant que le premier visiteur du jour, ma personne, leur achète des poissons.

Pendant que je me traîne solitairement vers les girafes, deux lions surgissent brusquement de derrière la cage des agoutis.

Comme vous l’entendez.

Deux lions, oui, deux lions, ou comme dirait Dezső Szomory[1], deux lions… deux lions, et non deux cabris… deux cabris, comme le chanterait la gentille chansonnette juive.

Les deux lions se ruaient directement sur moi.

Au premier instant, quand je les ai vus, ils me sont parus très grands, au moins deux mètres chacun. Au fur et à mesure qu’ils approchaient, ils devenaient de plus en plus petits. Que vous le croyiez ou non ! On vous a induit en erreur dans l’optique quand on vous a expliqué la perspective. Ils devenaient de plus en plus petits, et lorsqu’ils furent tout près, il s’est avéré qu’ils n’étaient pas plus grands que sur une image.

Bref, deux lionceaux, extrêmement mignons, de moins de cinq mois. Des pattes et des corps comme des minets, leurs têtes de vraies têtes de lions, oblongues, étroites, sévères, presque orgueilleuses : ce sont bel et bien des majestés royales, l’expert n’a aucun doute là-dessus.

Les deux jeunes princes – ils s’appellent Roméo et Juliette, le dauphin et la princesse – s’agrippèrent sans tarder à mes mollets, pressants et exigeants, pour que je joue avec eux. Étant donné que Roméo voulait goûter mon pantalon (mon tailleur a bien dit que c’était de la laine et non du coton !), mes yeux cherchaient de l’aide. Le gardien s’approchait déjà, calmement et commodément, me faisant de larges gestes pour que je reste sur place :

- Je vais les reprendre. Ils font leur promenade du matin, ils sont un peu vifs, ils ont besoin de se défouler.

Sur son claquement de langue les deux gentils lionceaux m’ont lâché et l’ont suivi. Moi de même.

Jusque-là pas de problème. Mais un peu plus loin trois enfants de quatre ou cinq ans jouent dans la pelouse. Dès qu’ils remarquent les lionceaux courant sur eux ils se mettent à hurler. (Je leur donne raison, par rapport à eux ils sont beaucoup moins petits.) Le gardien leur lance :

- Surtout ne bougez pas, si vous restez immobiles ils vous ignorent, ils ne poursuivent que ceux qui courent.

L’un des enfants obéit, ne bouge pas. Les deux autres prennent leurs jambes à leur cou.

Les deux lionceaux ne devaient pas bien connaître les règles car ils s’approchent de l’enfant resté sur place. Ils le flairent, ils se frottent contre lui, ils le tapotent. L’enfant hurle.

Pour moi la chasse au lion peut commencer. Le gardien claque de la langue, claque des doigts, les appelle. Moi j’essaye de les éloigner de l’enfant. Ils ne veulent pas le laisser tranquille. Il convient de recourir à des moyens plus efficaces. Je me mets à courir pour attirer leur attention. Ils s’en moquent. Je m’arrête. À cet instant l’un des lionceaux me rejoint, tandis que j’arrive à détacher l’autre de l’enfant et le tendre au gardien.

Non, je vous en prie, pas de célébration, vous savez que je n’aime pas ça. Je n’ai fait que mon devoir.

Mon collègue Richard Cœur de Lion aurait fait de même à ma place.

 

Az Est, 26 septembre 1935.

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Thème "personnel"

 



[1] Dezső Szomory (1869-1944). Écrivain hongrois.