Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Notes
Distinction. Madame a vécu une vie retirée. Elle n’est jamais allée au marché, on ne l’a jamais vue dans la cuisine.
Vanité. Fut-il vraiment vaniteux ? Vous n’avez pas pensé que dans la réputation il cherchait seulement un narcotique contre la souffrance du génie ?
Siècle. À propos des génies du dix-neuvième siècle, la psychanalyse a systématiquement démontré qu’ils étaient fous. Et personne n’a posé la question : quel siècle honteux, inhumain dut être celui dont les génies ont tous perdu la raison ?
Rire. L’unique chose au monde qui ne soit pas risible.
Vérité. La plupart des gens ne cherchent pas la vérité, seulement leur vérité.
Dieu. Il faut qu’il existe quelqu’un qui comprenne mieux l’homme que l’homme.
Freudisme. Bon, bon… Tout cela est très beau, très vrai. L’amour, le désir qui me tenaille, est déterminé par des données inconscientes. Ce sont mes inclinations qui décident qui me plaît et qui ne me plaît pas, je dois m’observer si je veux savoir pourquoi je me sens attiré par une femme alors qu’une autre me répugne. Hélas toute cette question tourne à vide, pour une raison très simple que l’adage résume ainsi : il faut être deux pour toper ! La psychanalyse a oublié de rechercher les conditions qui font que je plais ou je ne plais pas. Elle ne cherche que les lois de l’amour, sans tenir compte des lois de l’éveil de l’amour ; pourtant il est évident qu’il existe des hommes et des femmes qui savent plaire, indépendamment des habitudes amoureuses de l’autre partie. Une belle femme a dit l’autre jour en ma présence à un psychiatre qui tentait d’expliquer ses rêves par un déchiffrement psychanalytique : « Vous savez, cher Docteur, pour l’instant je préfère faire rêver que rêver. » Elle aurait aussi pu s’exprimer ainsi : « Je ne souhaite pas me connaître, je me contente de ce que d’autres me connaissent. Et en ce qui concerne la compréhension, j’ai le sentiment que celui à qui je plais m’a parfaitement comprise. »
Musique tsigane. C’est affreux, il faudrait enfin faire quelque chose contre cette musique subie dans les cafés. Il n’y a nulle part où se réfugier – on joue de la musique dans tous les cafés, pas moyen de se parler, de penser, de se reposer – on martèle les sons dans l’oreille à coups de massue, que ça plaise ou non, abusant de l’insouciance de la nature d’avoir oublié de créer un appareil d’obstruction des oreilles contre les bruits. Dès que je vois un prima[1], je déprime – je les baptise désormais des déprima.
Fleur de rhétorique. Monsieur Lombric était assis à côté de moi, abattu, à la table voisine du restaurant, il ne cessait pas de soupirer. Quand je me suis enquis de ses soucis, les larmes envahirent ses yeux et il se confondit en implorations. « Mon ami, je suis déshonoré – un doute m’angoisse à la pensée qu’hier soir en état d’ébriété, j’ai levé le pied sur ma femme. »
Compromis. Quel orgueil stupide, quelle outrecuidance que de ne pas chercher le compromis ! Dans les températures possibles dans l’espace allant de -250 degrés à +1000 degrés, toute la vie organique se restreint à l’étroite condition d’une amplitude de 70 à 80 degrés : en dessous et au-dessus de cet intervalle aucune vie n’est possible. Notre cadavre témoigne de plus de résistance que nous – il faut une température de 4000 degrés au crématoire pour que le corps cède et devienne poussière – alors que l’âme nous abandonne dès 42 degrés.
Le comique. Tout devient comique si nous y prêtons suffisamment attention.
Satisfaction. Vous savez quoi, dit l’homme riche – vous avez raison. Pourquoi ne pas vous donner raison pour une fois. Vous n’avez rien d’autre.
La patience fait pousser des roses. Rien d’autre.
Une bonne raison. – Tu n’es pas allé chez le dentiste ? – Je n’ai pas pu y aller. J’avais trop mal aux dents.
Mode. Que portent les femmes cette année ? Je l’ignore. Mais sûrement pas d’enfant.
Sagesse. Dans le labyrinthe de toutes nos folies nous commençons à voir clair lorsque notre sagesse ne nous sert plus de rien. C’est à l’âge de soixante ans que nous découvrons comment utiliser notre jeunesse – et il y a des personnes qui prononcent la première phrase intelligente de leur vie sur leur lit de mort où l’écrivent dans leur testament.
Pesti Napló, 17 mai 1927.
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paru dans Pesti Napló