Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Les comédiens arrivent pour l’hiver

- Administration de l’art en province -

 

La commission théâtrale qui est composée de ces messieurs qui composent également la commission financière de l’abattoir public, celle de la prairie communale et celle de la propreté générale et des épidémies, tient séance dans la salle du conseil municipal un après-midi d’automne endormi.

Le président (le maire également, il somnole toujours après déjeuner, il a 79 ans, il ne sait plus que signer, et encore.) : Je salue… j’ouvre. (Il ronfle.)

Le rapporteur (en veut beaucoup aux comédiens, parce qu’ils n’ont accepté nulle part son drame en un acte, pourtant il l’a envoyé partout ; en tant que journaliste de la presse locale il est membre et rapporteur de cette commission.) : Il s’agit des comédiens qui veulent revenir hiberner chez nous. Moi je veux bien, mais qu’en pensez-vous, Messieurs ?

Le commandant en chef des pompiers (admirateur enthousiaste du théâtre, parce que tous les soirs il boit jusqu’au matin et chante avec le ténor.) : Qu’ils s’amènent ! C’est vrai que le théâtre est grandement exposé au feu, mais faut dire qu’il était comme ça déjà l’an dernier, et puis quand même il n’y a rien eu. Qu’ils s’amènent, et je serai là jusqu’au matin.

Le curé (est fâché contre l’art, parce qu’un choriste a séduit sa plus belle cuisinière.) : Il ne faudrait peut-être pas les soutenir autant. Qu’ils ne se précipitent pas autant chez nous, l’argent du peuple ne doit pas aller que pour eux. (Cest aux troncs qu’il pense.) Pour la protection des incendies, ayons confiance en la providence.

L’alerte industriel (toujours amoureux de la prima donna.) : le principal est de créer une harmonie dans le jeu des forces, afin de pouvoir satisfaire les besoins en matière de capacité de représentations et de jeu. Examinons la liste. (Il cherche le nom de son ancienne maîtresse, mais il ne le trouve pas.) Il faut dire que c’est une troupe passablement médiocre.

Le conseiller culturel (mû de sentiments similaires à ceux de l’industriel, mais lui, il trouve le nom qu’il cherche dans la liste.) : Bien au contraire ! Ce sont des forces magnifiques qui jouent à merveille. Regardez leur programme !

Le curé : Il y manque la présentation de paraboles chrétiennes en scènes spectaculaires.

L’industriel : Je trouve qu’il n’y a pas assez de bouffonneries françaises.

Le pompier : Qu’ils chantent aussi des airs coquins !

Le conseiller culturel : Qu’ils montent des cycles shakespeariens !

Le procureur (qui monte fréquemment à Budapest.) : Ils pourraient nous présenter aussi du music-hall. On ne peut pas courir à la capitale pour tout.

Un vieux des services fiscaux (en veut au monde entier, parce qu’à la saison dernière, seul un de ses domestiques a eu des entrées gratuites.) : Et puis veuillez obliger le directeur de ne pas distribuer chichement les billets exonérés. Après tout nous ne pouvons pas sacrifier notre dernière chemise sur l’hôtel des muses.

Le rapporteur : Nous devons déclarer que le directeur doit présenter au minimum une fois un produit dramatique local. De toute façon, cette commission n’est pas une commission si elle n’est pas en mesure de donner des ordres au directeur, nom d’un p’tit bonhomme ! (Il tape du poing sur la table.)

Le président (se réveille.) : Je salue… je clôture… (Et les comédiens peuvent venir pour l’hiver.)

 

Borsszem Jankó, 22 octobre 1911

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