Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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DROITES PARALLÈLES

 

J’ai parcouru de nombreux livres de mathématiques, je ne comprends pas ce qu’ils veulent de ces droites parallèles. Le postulat selon quoi elles se rencontrent ou non dans l’infini, préoccupe les esprits savants depuis 2000 ans, diversement selon les périodes. Comment ceci peut-il être objet d’un débat ? Puisque les droites parallèles ont été inventées par l’homme, la notion de droites parallèles est mon droit souverain, je les imagine comme je veux. Une fois que la convention humaine s’est mise d’accord que les droites parallèles ne se rencontrent pas, alors il n’existe pas de divinité, il n’existe pas d’infinité qui pourrait, en secret, derrière notre dos, sans notre consentement, les autoriser à se rencontrer. Et ce postulat des droites parallèles n’est pas une découverte mais le fruit de la volonté humaine – je dirai même, le fruit de la morale, la lumière du devoir, c’est presque un impératif catégorique ! Si nous, les gentlemans de l’esprit, nous nous sommes une fois mis d’accord que les parallèles ne se rencontrent pas, autrement dit, que nous ne parlons de droites parallèles correctes que dans le cas de droites qui ne se rencontrent pas – alors parler d’une telle rencontre est aussi immoral et inconvenant que violer, pendant le jeu, les règles d’un jeu de cartes. Je considère que la rencontre de droites parallèles est une chose immorale et illégale – mon éducation proteste contre elles comme elle proteste, par exemple, contre le concubinage – si les droites parallèles veulent se rencontrer, soit ici dans le fini, soit là-bas dans l’infini, moi je les ferai séparer par la police. Si elles veulent se rencontrer, qu’elles jouent franc-jeu et qu’elles ne se fassent pas appeler droites parallèles.

 

Brassói Lapok, 8 août 1937

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