Frigyes
Karinthy : Théâtre Hököm
Icare à Budapest
- On
l’apporte, le voilà !
- C’est là-dessus
qu’il va voler ?
- Non, sur le dos de ce receveur,
là. Le gendarme à cheval va lui prêter son cheval,
c’est là-dessus qu’il va voler. Ou sur un autobus. Ou bien
juste comme ça, à pied, il battra vite des bras et il
décollera. Ses deux petits garçons vont lui souffler dans le dos
pour qu’il vole plus vite. Foutez moi la paix, ne parlez pas tout le
temps.
- Pisti, dass
sollst du auch lernen.
- Jawohl, Tante. Un chaud s’il vous plait.
- Was sagst du ?
- Warm ist aujourd’hui.
- Maintenant, là,
regarde… Il y va… Ouh, là,
là ! Il est déjà en l’air.
- Non, il est descendu sous
- Génial ! ça doit déjà faire
deux cents mètres. Au moins trois cents.
- Mon Dieu ! Mon Dieu ! Il
n’a pas peur !
- Dites, il n’a pas peur cet
homme ?
- Mais si, que voulez-vous qu’il
fasse ? Évidemment il a peur. Vous voyez bien qu’il a peur. Y
a ses dents qui grincent. C’est de peur qu’il s’est
envolé, il a peur de vous pardi ! Il a peur de tous ces messieurs
dames, il aimerait disparaître. Ne parlez pas tant, laissez-moi respirer.
- ça
coûte cher, un avion comme ça ?
- C’est quoi qu’il fait
maintenant ?
- Jésus, Marie ! Il se
retourne !
- Oh, là, là ! Je ne
peux pas regarder ça !
- Comment ?! C’est un
double looping ! Et comment ! Une culbute en l’air. Il sait y
faire, celui-là, mon vieux.
- Là-bas, au sol, c’est
sa femme ?
- Non, c’est la mienne. Elle y
est allée parce qu’elle croit que c’est moi là-haut.
Maintenant elle attend que je descende, gare à mes abattis, elle se dit.
Elle va en faire une tête quand elle verra que ce n’est que le
baron Pasquier.
- Paskier ?
Pourquoi pas qui c’est ? J’en sais rien moi. C’est pas
moi en tout cas.
- Monsieur Choucroute, vous êtes
un petit plaisantin ! Très amusant.
- Si j’avais un million comme ce
baron, eh bien moi, je n’irais pas tournicoter en l’air. Je ne
ferais pas ce qu’il fait, même pour mille forints.
- Encore des culbutes ! Ouh, là, là !
- N’ayez pas peur, Madame. Tant
que je suis là, Madame ne doit pas avoir peur. Moi, à sa place,
je ne ferais pas de culbutes. Dites que c’est moi qui le dis.
- Oh ! Il va encore monter ?
- C’est pas sa crémerie,
il se dit. Ouste, il se dit, changeons de crémerie. Pourquoi vous
souriez, petite Madame ? J’en dis de drôles, hein ?
- Alors, il ne peut pas tomber ?
- Il peut pas. Quand il était
petit garçon, on le battait chaque fois qu’il tombait de mille
mètres de haut.
- Jusqu’à quand il va
encore rester si haut ?
- Si c’est pour notre argent, il
pourrait enfin descendre. Je ne vois rien. Redescends, beau pilote !
- Qu’est-ce qu’il fait ce
mec là-haut ? On dirait qu’il roupille. Faudrait appuyer une
échelle contre l’avion et le réveiller. Ou le chatouiller
avec une barre pour qu’il redescende.
- Qui est cette femme ?
- Madame Csetneki. Das lebt sich. Couleur tango.
- C’est ce qu’on porte
cette année.
- Regardez-le ! Encore une
culbute !
- Où ? Par
où ? Qui ?
- Là…
Là-bas… Le Pasquier… Regardez…
- Ah, oui ! Encore ce Pasquier.
On l’a déjà vu. Combien de fois il va nous le
refaire ? J’en ai ras le bol de ses culbutes. Il vole tout le temps
sur le dos. Il aime le confort. Il se couche sur le dos et il roupille. Et pour
ça les gens donnent de l’argent.
- Taisez-vous, c’est quand
même difficile.
- Allons donc ! Même
s’il voulait, il ne pourrait pas tomber. C’est comme ça
qu’est fait l’avion. C’est de la triche.
- J’ai un parent qui est un des
directeurs de l’Aéro-club, c’est lui qui m’a dit que
même s’il voulait, il ne pourrait pas tomber.
- Tiens, vous connaissez donc Dardos ?
- Parce que Madame
également ?
- C’est mon cousin.
- Génial ! Vous avez
entendu ?…
- À qui le dites-vous ! ça fait trois mois. On ne parle
que de ça.
- Elle n’en a pas honte, cette
femme ?
- Je ne comprends pas comment un jeune
homme aussi doué et intelligent peut se faire harponner comme ça.
On dit qu’il dépense tout son argent pour elle.
- Incroyable ! Une vamp ! On
en perd son latin ! Pour une femme comme ça !
- Pour une femme comme
ça ! Je n’arrive pas à me l’expliquer !
C’est merveilleux, c’est à en devenir dingue !
- Génial ! Du jamais
vu !
- Je ne trouve pas de mots… Mais
qu’en dites-vous ?!!… Hein ?!!!
- On n’a jamais vu
ça !
- Je n’ai jamais entendu une
chose pareille ! C’est du jamais vu !!… Pour une femme
pareille ! Même qu’elle louche !!…
Inouï !…
- Formidable… Incroyable…