Frigyes Karinthy : "Vous écrivez comme ça "
SOMERSET
MAUGHAM
Un imper après la pluie
ou
J’ai compris le lait caillé
Étude météorologique. En trois précipitations.
Avec des précipitations manuelles par endroits.
Auteur : Heuteroch Maughantot
Producteur : Première Usine Hongroise de Parapluies
PREMIÈRE PRÉCIPITATION
Même
lieu qu’au deuxième acte
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : dis,
qu’est-ce que c’est cette eau qui me fouette la figure ?
LE CAFRE ZOULOU : Ben, il
pleut.
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : La
pluie, c’est quoi ?
LE CAFRE ZOULOU : Ça tombe
et ça mouille la terre.
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : C’est
quoi, la terre ?
LE CAFRE ZOULOU : Ben, là
où nous sommes.
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : C’est
quoi, nous sommes ?
LE CAFRE ZOULOU : Ben,
nous deux et Mademoiselle Kata, ici.
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : Qui
c’est, Mademoiselle Kata ?
KATA HUJDERE : Même
ça, tu ne sais pas ? Alors, si tu veux vraiment tout savoir, je suis cette
fameuse serveuse du Groenland tombée du ciel ici à Madagascar, là-haut sur
l’hémisphère nord ça pleuviotait ferme, je m’suis dit j’descends un peu le temps
que ça s’arrête. (Elle sifflote.)
LE PROPHÈTE PLUVIEUX : En
guise de résultat, autrement dit de causalité, de la même motivation commune, à
savoir la pluie, moi-même je me suis abrité ici pour un petit verre de
recueillement.
KATA HUJDERE (coquette) : Abrité ?
LE PROPHÈTE (sombre) : Je
refuse votre manque d’éducation d’intervenir quand je suis en train d’expliquer
à ce Cafre Zoulou craignant Dieu, comment il doit expliquer à cette Pauvre Cafre Zoulou Aveugle, ce qu’est
la pluie.
KATA HUJDERE : Je me
fiche de vous, comme de la pluie.
LE PROPHÈTE : Je vous punirai pour cette impudence :
je vous convertirai à la religion musulmane dont je suis un missionnaire.
KATA HUJDERE : J’aimerais
bien voir ça.
LE PROPHÈTE : Vous le verrez.
LE CHŒUR : Pas loin
d’ici la mélasse,
N’y
passe pas, Litera Tera,
Ta
jupe rouge serait crasse,
Et
ta mère te grondera.
PREMIER MAHORI : C’est quoi qui tombe ?
DEUXIÈME MAHORI : La mélasse.
PREMIER MAHORI : C’est le rideau.
DEUXIÈME PRÉCIPITATION
Même
lieu qu’au premier acte
LE PROPHÈTE : Dieu est Un et Mahomet est son prophète.
KATA : Hi, hi, hi, ha, ha, ha.
LE PROPHÈTE : Retourne au giron d’Abraham.
KATA : Hi, hi, hi, ha, ha, ha.
LE PROPHÈTE : El illah, il Allah, Mohamed Rasoul Allah.
KATA : Hi, hi, hi, ha, ha, ha.
LE PROPHÈTE (avec une
passion soudaine) : Ne crachez pas sur le plancher. Il est
interdit de fumer !
KATA (pâlit) : Jamais personne ne
m’a dit cela. (Transfigurée.) Que
dois-je donc faire, frère spirituel ?
LE PROPHÈTE (zélé) : Cours
de La Mecque à Médine.
KATA (court.)
LE PROPHÈTE : Euh, euh, pas si vite… Je veux courir aussi…
(Il court derrière elle.)
KATA (continue de courir.)
LE PROPHÈTE (en aparté) : Elle
a de jolies jambes, cette petite. (À
haute voix.) Avance, je te
rejoins !
KATA (tombe dans les bras du prophète, lui
mordille la barbe en sanglotant) : Oh, barbe du Prophète,
sainteté du salut !
LE PROPHÈTE (chatouillé) : Ouille !
KATA (indignée) : Comment ?
Vous avez dit ? Ouille ?
LE PROPHÈTE (rigole) : Comme
chaque fois qu’on me chatouille la barbe.
KATA (rigole sauvagement) : Hi,
hi, hi, ha, ha, ha !... Sale moins que rien ! Moi j’ai
tiraillé sa barbe et il a pris ça pour un chatouillis… Ça déclenche en moi une
crise morale et ça fait remonter en moi le démon éternel, en même temps ma
bonne âme me dicte de ne pas le faire… Pendant que ces deux forces se battent
en mon âme, moi je file à Sidney pour me faire comédienne. Si, Dieu nous en
garde, il arrivait quelque chose à l’une de nous deux, postez-moi ma fourrure
de loutre. (Elle part en rigolant.)
TROISIÈME PRÉCIPITATION
Même
lieu qu’au premier et au deuxième acte
LE PROPHÈTE : Les nœuds inextricables de la crise de
conscience entraînent pour moi certaines conséquences, dont la solution ennuie
le papa, ennuie la maman, ennuie l’auteur, ennuie le public, ennuie moi aussi.
Trouvons donc une tournure élégante. (Il
se tire une balle dans la tête avec une corde de marin.)
LE MÉDECIN : Il a bien fait.
LE GOUVERNEUR : C’est une conséquence de l’inculture des
Cafres. Je réclame des renforts. (Il
télégraphie à Londres.)
BALFOUR : Allô,
allô ! Ici l’Angleterre !... La civilisation doit faire son entrée
dans les colonies !... Informez le ministre de la guerre !
TAHITI (résiste.)
LES TROUPES BRITANNIQUES (font leur entrée dans Madagascar, au cas où.)
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : Qu’est-ce
que c’est, ce bruit ?
LE CAFRE ZOULOU : Les
Anglais ont incendié l’île ! Ils bombardent l’Afrique avec leurs
avions ! L’Amérique a déclaré la guerre !
LA PAUVRE CAFRE ZOULOU AVEUGLE : J’ai
enfin compris ce que c’est que la pluie !