Frigyes Karinthy : "Vous écrivez comme ça "

 

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DERNIÈRES PRIVAUTÉS

ou

Les mystères d’un cœur maternel

ou

Qu’est l’infini miroir plan de la mer par rapport à cela ?

 

Du carnet d’esquisse d’un scénariste débutant

 

(Film monstre, le prévisible gagnant du concours cinématographique de l’année prochaine ; la qualité historique et la valeur muséale en sont attestées, selon les experts,  par  le fait reconnu que l’auteur des comptes rendus préalables et des communiqués fut inspiré par ce film à la création de poèmes tels que dans le genre, la poésie lyrique des comptes rendus préalables, nous n’en avons encore jamais entendu. Ce compte rendu préalable ouvre une nouvelle ère dans l’art des comptes rendus préalables ; des membres éminents de la Société Kisfaludy affirment que cela représente une telle résurrection du culte des odes et des hymnes, en déclin depuis Vörösmarty, sans précédent dans l’histoire de la littérature, et, selon des cercles initiés, l’auteur du présent compte rendu préalable, sur la base de cette œuvre-ci exclusivement, est fréquemment évoqué comme probable membre de l’Académie, candidat au Prix Nobel et à la Fondation Jolán Földes pour l’année prochaine.)

 

Donc, Ben Blumenfeld, speaker admiré et mondialement célèbre de Radio Berlin, engrange un de ses plus grands succès en lisant, à son micro, une de mes humoresques populaires, avec son art indépassable pour lire des humoresques. L’auditoire est en liesse dans son admiration pour le lecteur, et nous voyons l’Océan Atlantique qui l’accompagne en tapant le rythme, tout en rigolant de la parfaite prononciation allemande de l’artiste lecteur.

Eh bien, il se trouve qu’en Amérique l’émission est écoutée par l’épouse d’un voleur de thèmes, dont le mari vient de se tirer une balle dans la tête par crainte d’être soupçonné pour ce film-là aussi ; l’épouse est catastrophée, elle entend pour la première fois mon humoresque, qui la fait aussitôt pleurer ; et afin de me compromettre elle saute de son lit et elle s’empresse d’aller suffisamment près de la caméra pour qu’on puisse bien observer ses yeux en larmes et l’expression défaite de son visage.

Après cela elle traverse une forte crise psychique. En effet elle est profondément émue par ses larmes qu’elle voit dans la glace. Si bien que lui revient une scène à laquelle sans mon humoresque elle n’aurait jamais repensé : six années auparavant, quand elle s’est expatriée en Amérique, elle avait un petit garçon qu’elle a oublié là-bas, à la gare, en même temps que son sac à main. Surprise elle-même par son propre sentimentalisme, après tout au bout de six ans une personne normale oublie ces choses-là, or ça lui est revenu. Elle va voir son médecin qui l’ausculte et lui donne le conseil de retourner en Europe et de rechercher son sac à main, car seul cela pourrait la guérir. Elle entreprend donc le voyage dans son Berlin natal où elle arrive au milieu d’une fête : en effet Blumenfeld est en train de lire mon humoresque pour la dixième fois. La ville est pavoisée, le soir un feu d’artifice est organisé en l’honneur du grand speaker que le ministre va adopter et il le nommera speaker de la rubrique météorologique. C’est donc au milieu de cette belle fête que Mrs Cœur Maternel, qui retrouvera bien son sac à main mais ça lui fera penser qu’elle avait oublié autre chose aussi, mais elle ne sait plus ce que c’était. Cela l’énerve car nous savons tous comme il est désagréable d’oublier quelque chose qu’on a sur le bout de la langue. Toutefois elle a de la chance : le Grand Speaker qui veut distraire sa femme, retrouve à la consigne de la gare le garçonnet du Cœur Maternel oublié six ans auparavant, et prenant exemple sur la noblesse de cœur du ministre, il l’adopte. Cœur Maternel est désespérée au point de vouloir se tuer parce qu’incapable de retrouver ce qu’elle a oublié à la gare en sus de son sac à main, lorsque Blumenfeld la croise et lui propose de l’embaucher comme préceptrice auprès de son fils adoptif. Cœur Maternel pousse un cri de joie car cela lui rappelle qu’elle avait eu elle aussi un enfant, et elle se réjouit quand elle découvre qu’il s’agit du même garçon. Elle est justement en train de s’en réjouir quand apparaît l’amant de Madame Blumenfeld pour extorquer de l’argent à l’épouse du Grand Speaker. Mais celui-ci rentre chez lui juste au moment où sa femme désespérée veut mettre Cœur Maternel à la porte, par ce qu’elle projette une sorte de cambriolage pour enlever son enfant ; et alors Madame Blumenfeld se tue. Par coïncidence, Cœur Maternel, l’amant maître chanteur, l’enfant volé, la bonne qui a l’habitude de signaler les suicides successifs de Madame Blumenfeld, le chef de la police, l’avocat de Cœur Maternel, le procureur du roi, le témoin à décharge venu d’Amérique, le pharmacien qui a fabriqué le poison, le chef du bureau d’état civil et l’agent de la fabrique de meubles qui après le mariage de Blumenfeld et de Cœur Maternel agencera l’appartement pour eux trois, tous se rencontrent dans la cage d’escalier, et ainsi grâce à Dieu tout rentrera dans l’ordre.

 

Suite du recueil