Frigyes Karinthy :   "Parlons d’autre chose"

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rythme de pensÉes

Hier soir, comme tant de fois, je lisais encore la Bible et je conduisais mes yeux le long des pages du Livre des Livres.

Et je m’émerveillais des beautés des Pensées et mon cœur s’emplissait de joie, accueillant le verbe.

Et le style poétique dans lequel furent écrits les livres de l’Ancien Testament me plaisait particulièrement et l’art des paroles par lequel elles expriment les produits de leur esprit.

La merveilleuse forme du Rythme des pensées, capable d’exprimer une même chose deux fois en paroles différentes et de dire deux fois le même discours en modifiant les parties composantes de la phrase.

Et ceci me plaisait énormément, et ces versets m’enthousiasmaient.

En effet comme il est merveilleux qu’on n’ait qu’une seule et unique pensée et aucune chance d’en trouver deux, mais seulement la moitié de deux.

Néanmoins elle génèrera deux phrases, et un seul verset en engendrera plusieurs.

Car c’est excellent, surtout pour le journaliste, et il réjouit le cœur du Fabricant des journaux.

Particulièrement pour celui qui est payé à la ligne et qui gagne son pain à la sueur de chaque trait tracé par sa main.

Et j’ai senti que ce moyen me convenait très bien, et c’était le rythme parfait de mes pensées.

C’est pourquoi le matin je descendis le cœur égayé au café et à l’aube je dirigeai mes pas vers le point de vente des breuvages caféiques.

Et je dis au garçon : « Apportez-moi un café », et ne privez pas ma bouche de la saveur de la Boisson Brune.

Mais, bien que je lui réitérasse ma demande, il ne m’apporta le breuvage nulle fois, pourtant il sut très bien que l’avais invité à me le porter.

Et enfin il m’apporta un verre de lait, sans laisser à la cuisine le verre qui contenait sa sécrétion du pis de la vache.

Plus exactement ce serait bien si cela était, si cela était du lait et non de l’eau de la source.

Et je dis en mon cœur : que la foudre frappe les falsificateurs et qu’une décharge électrique se noue entre deux nuages à travers le bon conducteur qui se fait appeler homme, mais qui en réalité n’est qu’un mécanisme qui altère artificiellement la vraie nature de la nourriture terrestre.

Pour qu’il en tire profit et pour que moi aussi je sois envoyé à Karlsbad par les médecins.

Après cela j’ai feuilleté les revues jusqu’en leur fin et, mes doigts firent défiler leurs colonnes dans les magazines.

Et je lus un beau discours au Parlement, et je n’ai pas privé mes yeux des notes du Conseil des Sages du Pays.

Afin d’y trouver une Pensée que je pourrais exprimer en rythme, et une idée quelconque sur le Destin du Pays.

Mais de la sorte je n’y trouvai rien de Tel, et je m’émerveillai des beautés poétiques d’un grand discours de la part de l’opposition.

Et je posai alors le journal, et je vidai ma main de l’épaisseur des papiers sur lesquels demeurent des lettres imprimées.

Et alors l’un de mes plus chers amis approcha de ma table, et s’approcha de ma chaise l’homme qui avait coutume de dire du mal de moi dans mon dos.

Et je lui dis : « Comment vas-tu bien et dans quelles conditions se passe le cours durable de ton existence ? »

Et il leva sur moi son regard étonné, et ses yeux à lui furent semblables aux petits merlans frits dans leur poêle.

Et je lui dis : « Tu ne comprends pas cela, et ton cerveau ne conçoit pas le discours que je tiens. 

Car je te dis bien que ce rythme de pensées, et ce mode oratoire, c’est lorsque l’homme répète une chose deux fois. »

Et alors son visage à lui s’anima, et sa tête devint semblable à une ampoule électrique quand on a tourné l’interrupteur.

Et il me dit en allégresse : « J’ai enfin compris, mon âme à moi a assimilé la somme de tes paroles.

Alors je vais donc te dire pourquoi je suis venu ici, et je ne dissimulerai nullement mon intention devant toi.

Parce que je n’hésite pas de te demander d’être aimable, de me prêter dix couronnes, et en cadeau à moi, ton meilleur ami, cinq autres forints. »

Et je lui dis : « Pourquoi devrais-je te prêter dix cela et te faire cadeau de cinq ceci, alors que cela fait vingt couronnes dont tu n’auras l’intention de ne me rendre que cinq ? »

Et il répondit : « Ce n’était qu’un simple rythme de pensées de te demander de me prêter dix – une expression en d’autres termes de te suggérer de me donner le tout. »

Que ceux qui ont des yeux voient, que ceux qui ont des oreilles entendent.

 

Suite du recueil