Frigyes Karinthy
Ces sujets constituent la trame et
l’objet constant de l’œuvre de Kafka. Quand Karinthy les aborde c’est étrangement
de la même façon que Kafka. Pourtant Karinthy ne pouvait pas le
connaître : Kafka est décédé en 1924, "Le Procès" et "Le
Château" ont été édités en 1925 et 1926 et sont restés longtemps
inconnus en Hongrie. Nombre des textes ci-dessous sont antérieurs à 1925 ou à
peine postérieurs. Néanmoins quand Kafka est personnellement totalement
engagé dans sa littérature, Karinthy semble toujours détaché, quand il parle de lui-même c’est pour s’adresser au
lecteur… à moins qu’il s’adresse au lecteur pour parler de lui-même ?
Karinthy cultive l’ambiguïté de l’humoriste pour traiter les sujets les plus
profonds avec une extrême légèreté. Il a ainsi abordé à deux reprises le
thème de La métamorphose : Dans la nouvelle Rétrécis-toi parue en 1929 dans la
presse, sur un ton léger. Du texte intitulé Insectes citons ici ces deux
paragraphes écrits en 1931 : J’ai rêvé
cet après-midi que je me trouvais dans l’histoire de la littérature :
cette histoire de la littérature est une grosse boîte noire avec cent mille
épingles. Je suis couché sur le ventre sans bouger, sur un grand carton
blanc, cloué là par une broche d’acier. Quelqu’un se penche au-dessus de moi,
je vois une énorme barbe blanche, des yeux bleus grands comme des horloges de
clocher. J’entends une voix tonitruante qui explique à un tiers :
regardez celui-ci, ce tout petit, il appartient à un groupe passablement
rare, nous n’en connaissons qu’environ quatre cents variétés. Prenez cette
puissante loupe, comme ça vous le verrez. Je demeure
couché, paralysé, j’aimerais hurler mais aucun son ne sort de ma gorge, et
monsieur Diener fait prudemment un pas, là, dit-il,
je fais échec avec cet ophone blanc – moi je voudrais avancer mon roi, mais
mon roi n’a nulle part où aller. |
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Sentence : Karinthy se sent
l’objet d’une sentence qu’il identifie à sa naissance ("Carnet de
notes" : « J’ai dû commettre quelque crime affreux,
monstrueux, avant ma naissance. Par ma naissance j’ai été condamné à vie. » ; "Miracle" :
« l’Homme ayant reçu un signe et une instruction de quelque part, il
a fait appel contre cette sentence, et il veut la modifier. » ; "C’est comme
ça", "La vérité"…). La vie est un procès qui conduit à une
sentence ("Vie longue, vie courte") Le sujet est aussi
abordé sous la forme du fantastique ("la mort magnétique", "La
sentence"…), de l’absurde ("Dialogue avec un homme bon"…) et
même parfois la satire ("Maître boulanger", "Un homme calme et
pondéré"…) |
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Exécution : L’exécution suit
la sentence. Karinthy l’aborde sous le signe de l’absurde ("Mon
exécution" : « C’est à huit heures l’exécution… Vous serez
encore en retard. », "Un
jour") ou du fantastique ("Soif", "Le mauvais rêve")
ou encore de la satire ("Sans culotte", "Montres",
"Garçon, l’addition !" : « Le juge d’instruction
et l’accusateur s’envoient des regards complices. Puis l’accusateur demande
une interruption de séance. Il reviendra de suite, il doit d’abord se
procurer les données, des documents pour compléter l’instruction. Il court
vers l’arrière, à la buvette, où l’on dispose de certaines notes secrètes, où
tu étais en observation, où ils savent tout de toi, où tout est enregistré, tes
antécédents, tes empreintes digitales, ta photo. »). |
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Examen : Dans le recueil
"M’sieur", c’est l’angoisse du collégien qui est décrite, mais le
thème de l’examen nécessaire ou inévitable parcourt l’œuvre de Karinthy. Il était poursuivi par l’idée qu’il
devrait passer un examen : « L’homme authentique, l’homme adulte qui ne considère pas la vie comme
un passage éphémère allant de la naissance à la mort, mais comme occasion de
la comprendre, une leçon dont il faudra un jour rendre compte à un examen… » ("Préface à
moi-même") ; « J’ai
souvent eu ce sentiment diffus, angoissant, qu’un jour quelque part je
passerai un examen. Que toute ma vie,
ma façon de l’avoir traversée, avec tout mon bagage, moi-même compris, m’a
été attribué à titre d’exercice ou d’étude par un jury inconnu, et que, tout
ce que j’ai vu et que j’ai vécu, je devrai un jour en rendre compte » ("Abattoirs") ; « Les théorèmes, les lois et
les équations difficilement digérées dans les cours de ces excellents
pédagogues deviendront rapidement inutilisables quand nous voudrons les
appliquer le jour de l’examen – examen où il faudra calculer, non pas
l’Humanité, Là encore il a recours à l’absurde
("Je réclame le remboursement de mes frais de scolarité"), au fantastique
("Trop d’étudiants") et à la satire ("Douze mille cinq
cents") |
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Dossiers : Examen, sentence,
exécution sont basés sur des dossiers. Des dossiers dont l’intéressé ne sait
rien et qui le classent, l’enveloppent… le condamnent à son insu. Dans
"Dossiers", l’auteur devient dossier lui-même et termine sa vie
sous une pile poussiéreuse. Le même thème est repris dans "Nombres"
(« Je suis introduit dans mille sortes de listes, de registres, de
dossiers… »). Il annonce le fichage
généralisé : « …des
jugements, des condamnations et des acquittements dont on veut me gérer, me
préciser, m’inclure dans des systèmes, remplir des dossiers, me trier dans
des cases, me mettre des tampons. »
("Pour une coulée de plomb de Le
refuge est dans le libre-arbitre ("Saint-Sylvestre" : « …n’existent
là [dans l’avenir] ni dossiers, ni certificats, ni cachets, ni tampons… ») La
satire ("Pelotes", "Pénurie de papier") et le fantastique
("La maison en feu", "Rêve") sont toujours présents. |
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Procès : La notion de
"procès" est abordée d’une part au sens habituel, à propos de procès
retentissants dans l’actualité ("La vérité ?", le "procès
du singe" aux Etats-Unis), d’autre part sur le plan des principes
(qu’est-ce qu’un procès ? dans "Crime et conscience") ;
mais Karinthy aborde aussi la menace
qui pèse sur chacun de nous et lui en particulier ("Je suis
témoin", "C’est comme ça" et dans le poème
"Compte-rendu" : « De mon moi je dois accoucher et ce
procès recommencer/ Jurer des mains jurer des pieds que moi je vis j'en ai le
droit car on l'oublie chaque matin […]/ Pourquoi c'est moi qui l'ai reçue [la
vie] que reste-t-il à achever pour quel contrat j'ai reçu ce thaler luisant… ») |
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